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ligieux et moral que beaucoup d’entre elles parlaient aux yeux et aux âmes ? Tel marbre qu’on admire devient beaucoup plus admirable, si l’imagination, aidée de quelque familière connaissance du monde grec ou romain, fait revivre les cadres magnifiques où figuraient ces nobles œuvres. La première condition pour bien apprécier serait de bien comprendre et de bien savoir ; or il est peu de monumens antiques desquels nous puissions dire que nous connaissions suffisamment ce qui les concerne. Ils sont assez beaux sans doute par eux-mêmes pour que nous trouvions dans cette vue incomplète de quoi nous édifier et nous complaire ; mais soyons convaincus qu’on ajouterait à notre admiration tout ce qu’on supprimerait de notre ignorance. C’est ce qui rend intéressante une double innovation qui mérite d’être signalée : l’essai de restitution d’un de nos plus célèbres chefs-d’œuvre de la statuaire antique, et l’ouverture d’une galerie architecturale destinée, en s’étendant plus tard, à nous mieux instruire sur les proportions et la beauté de ces vastes cadres qui instituaient, en entourant les statues grecques, une si savante harmonie.

Le musée du Louvre a récemment acquis et dès maintenant expose une statue antique d’un incontestable intérêt. Trouvée en 1836 à Falerone, près de Fermo, parmi les ruines du théâtre de l’ancienne Falérie en Picenum, elle offre au premier coup d’œil d’évidentes analogies avec la Vénus de Milo. La tête manque malheureusement ; mais les fractures des bras paraissent annoncer qu’ils avaient la même direction que ceux de la Vénus ; les jambes sont posées pareillement ; le pied gauche, relevé, s’appuie sur un casque ; toute la partie inférieure de la draperie est identique, seulement le torse est revêtu d’une légère tunique, retenue au-dessous des seins par un cordon noué. L’aspect général et en particulier la circonstance du vêtement entier paraissent indiquer une œuvre d’une date fort ancienne, tout au moins antérieure à Périclès. Malgré l’état de mutilation où ce marbre nous arrive, il n’a pas perdu sa valeur esthétique ; c’est un spécimen de l’art austère des premiers temps, qui nous est trop peu connu ; le corps y est vivant, souple, élégant, sous la frêle tunique qui l’enserre, et les plis du péplum retenu par les hanches y sont savamment traités. Surtout il demeure précieux comme élément d’une comparaison instructive. On sait combien de problèmes se rattachent à la célèbre statue de Milo. Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié l’intéressante étude sur ce sujet, due au conservateur des antiques, M. Ravaisson, et publiée ici même il y a deux ans[1]. M. Ravaisson, qui n’a pas inutilement préludé à ces beaux travaux sur l’art par sa carrière de métaphysicien et de philosophe, poursuit l’examen des questions délicates qu’il s’est posées. On peut voir dès aujour-

  1. Voyez la Revue du 1er septembre 1871.