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léans aux états de 1484, eut la sagesse de se souvenir de leurs plaintes et de leurs vœux. Secondé par un ministre habile, le cardinal d’Amboise, il fit pénétrer l’ordre et la régularité dans l’administration des finances, et comme Sully et Colbert[1] il augmenta les recettes sans établir de nouveaux impôts, en diminuant même ceux qui existaient déjà, « J’aime mieux, disait-il, voir les courtisans rire de mon avarice que de voir mes sujets pleurer de mes prodigalités. » Pour confirmer cette belle parole par les actes, il fit remise du droit de joyeux avénement, supprima diverses taxes sur les boissons et les denrées alimentaires, rendit la perception moins exigeante et moins dure, et fit descendre la taille de 4 millions 1/2 à 2 400 000 livres. C’étaient là de sages mesures qui devaient produire un grand bien, et la prospérité du royaume eût pris un rapide essor, au milieu du magnifique mouvement de la renaissance, si les funestes entraînemens des passions guerrières et les revendications dynastiques n’avaient fait tomber Louis XII dans le piège d’une  nouvelle expédition d’Italie. La plus grande partie des ressources créées par une administration habile et vigilante fut dévorée par une guerre qui ne dura pas moins de treize ans, et, comme les revenus ordinaires étaient bien au-dessous des dépenses, il fallut recourir aux engagemens du domaine, aux anticipations de crédit, à la vente des offices de judicature et de finance, en un mot aux mêmes expédiens qu’aux époques les plus désastreuses. L’avenir était fortement compromis : on avait créé d’une seule fois 600 000 livres de rentes sur les revenus domaniaux ; cependant le bien-être général s’était développé malgré la guerre, et les sujets de Louis XII lui décernèrent le surnom de père du peuple, surnom glorieux et mérité que personne parmi les princes de sa race ne devait porter après lui[2].

Au moment où François Ier monta sur le trône en 1514, le budget des recettes s’élevait à 24 millions, y compris les revenus du domaine. Le nouveau roi inaugura son règne en rétablissant le joyeux avénement, supprimé par Louis XII ;. il appliqua de son autorité privée à la plupart des anciennes contributions la superindictio des Romains, sous le nom de grande crue, doublement ou tierce-

  1. Louis XII, dans ses réformes, procède exactement de la même manière que ces deux grands hommes d’état : il administre comme eux au meilleur marché possible, il supprime comme eux les rouages inutiles, il augmente le nombre des contribuables en révoquant une foule de priviléges ; il réprime le gaspillage, il fait bénéficier le trésor des sommes que les officiers des finances détournaient à leur profit ; il économise sur les frais de perception et favorise l’agriculture et le commerce. On peut dire que d’Amboise est le précurseur de Sully, comme Sully lui-même est le précurseur de Colbert.
  2. Les étrangers eux-mêmes ont rendu justice à Louis XII. « La France, dit Machiavel, a tenu sous son règne le premier rang parmi les états bien gouvernés. »