Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/413

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duché en royaume, et ce royaume n’eut d’abord en fait de revenus que ce que les rois tiraient de leur domaine[1], c’est-à-dire des terres et des populations placées dans leur mouvance.

Le budget des premiers Capétiens est donc avant tout un budget féodal ; il comprend le produit des propriétés foncières, qui constituent leur fortune personnelle, et les redevances qu’ils prélèvent comme suzerains sur leurs vassaux et leurs tenanciers. Les rois jouissent en outre, au double titre de souverains et de suzerains, d’une foule de droits utiles, tels que la régale, c’est-à-dire la perception des revenus des évêchés pendant la vacance des siéges, le droit de dépouille, qui leur attribue l’héritage mobilier des évêques, le droit de prise, qui autorise les pourvoyeurs de leur hôtel à prendre gratuitement d’abord, et plus tard au prix qu’ils fixaient eux-mêmes, les denrées à leurs usages, — les taxes perçues dans les communes affranchies pour la concession ou la confirmation de leurs chartes, car les franchises municipales furent au moyen âge une marchandise bien plus qu’une conquête, — le gîte, lointain souvenir du cursus publicus des Romains, qui formait l’une de leurs plus importantes ressources, et en vertu duquel ils pouvaient visiter une fois dans l’année chacune des villes, bourgades et abbayes situées sur les terres du domaine, y coucher trois jours, s’y faire défrayer de tout, ou percevoir, quand ils ne faisaient qu’y passer, une somme équivalente aux frais que leur séjour aurait occasionnés. C’était là pour eux un moyen fort commode de faire des économies ou de battre monnaie ; ils en usèrent souvent, et leurs voyages, qui sont très nombreux aux xiie et xiiie siècles, avaient bien moins pour objet de recueillir, comme on disait sous l’ancienne monarchie, les témoignages de l’amour de leurs sujets que de ramasser leur argent[2]. À ces diverses sources de revenus s’ajoutaient 1o les aides légales ou aides aux quatre cas, dues par les nobles et les non-nobles, — quand le roi mariait sa fille aînée, — quand son fils était armé chevalier, — quand il était prisonnier de guerre, pour payer sa rançon, — quand il partait pour la croisade ; 2o les aides gracieuses, accordées par les populations à titre d’octroi volontaire ; 3o les aides de rigueur, obligatoires comme les aides légales, mais levées seulement dans des circonstances exceptionnelles, lorsque le fief ou le royaume était en péril.

Telles étaient, avec quelques autres recettes qu’il serait fastidieux

  1. En 1202, le domaine se composait de quarante-deux terres seigneuriales qui rapportaient 32 000 livres, soit au pouvoir actuel de l’argent 1 136 000 francs.
  2. Voyez ce que dit à ce propos Brussel dans l’un des livres les plus savans qu’ait produits l’érudition française : Examen de l’usage général des fiefs, t. Ier, p. 552, et Ducange, Glos., v° Gistum.