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Allemands des Irlandais ? Dans ce pays, où tout le monde boit, la « liqueur de Gambrinus, » comme là-bas on l’appelle, la bière, est restée la boisson favorite des gens d’origine germanique, tandis que ceux de race gaélique, Irlandais ou Écossais, abusent de l’eau-de-vie de grains, le wisky, une des plus mauvaises liqueurs alcooliques qui soient au monde. Et non-seulement les uns et les autres demeurent fidèles à leurs brasseries ou à leurs distilleries, mais ils ont en quelque sorte importé aussi avec eux leurs églises, leurs danses, leurs principales habitudes nationales et jusqu’à leurs journaux ; il est des endroits de l’ouest où l’on trouve plus de journaux allemands que d’américains. Cette conservation, cette persistance de la langue et des coutumes du pays d’origine, retarderont peut-être pour longtemps ce que l’on pourrait appeler l’unification de la race anglo-américaine.

Tous les immigrans, sauf ceux de race latine, s’établissent aux États-Unis sans esprit de retour. Il n’y a de mécontens, faut-il le dire ? que chez les Italiens et les Français, dont il est nécessaire de rapatrier un bon nombre, surtout parmi nos compatriotes. On a créé pour venir en aide à ces indigens des sociétés de secours et de bienfaisance, et les consulats disposent aussi de fonds pour leur rapatriement gratuit. Le Français qui ne parle pas l’anglais, et qui ne veut pas se plier à l’apprendre, se sent bien vite isolé au milieu de ces mœurs qu’il ne comprend guère. Il regrette ses cafés, ses théâtres, ses promenades, en un mot il se sent déplacé, mal à l’aise, dans ce pays où il n’y a pas d’oisifs et où l’on ne connaît pas la causerie, parce que l’on n’y parle que si l’on a quelque chose à dire. Il est inquiet, il se plaint sans cesse et des choses et des hommes ; il entre en colère (et là-dessus il a bien un peu raison) au sujet du repos dominical, ce sabbat protestant, qui fait ce jour-là de New-York, de Philadelphie, de Boston, de Saint-Louis, de Chicago, les autres jours si animées, autant de silencieuses thébaïdes. C’est à peine si la Nouvelle-Orléans, jadis française, et San-Francisco, peuplé dans le principe de mécréans, se sont un peu relâchés de la coutume biblique de célébrer le dimanche comme un jour de deuil ; aussi les Français se portent-ils de préférence vers ces deux villes, dont ils ne cessent de vanter les agrémens. Dans tous les cas, aucun Français n’entend laisser ses os en Amérique, chacun songe à retourner un jour ou l’autre au « beau pays de France. » Avec de pareilles idées, on ne devient pas de sérieux colons, et c’est pourquoi les Français n’ont pas encore réussi à fonder aux États-Unis un seul établissement prospère.

Qu’il y a loin de cet insuccès de nos compatriotes aux résultats si remarquables obtenus par les colons d’origine britannique, alle-