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well avec eux. Toutefois on ne devient pas yankee de prime-saut, il faut pour cela plusieurs générations. Il y a mieux, certaines familles ont pu longtemps garder avec un soin jaloux, en ne s’unissant qu’entre elles, les traces de leur origine primitive. C’est ainsi qu’à New-York, à Albany, on reconnaît encore aisément non-seulement au nom, mais encore au type, aux coutumes, sinon au langage, les familles qui descendent des premiers colons hollandais. Elles ont conservé je ne sais quelles habitudes sérieuses, quelles formes polies, réservées, quel goût des choses délicates, notamment des distractions de l’esprit, qui font qu’on les distingue à première vue, et qu’elles regardent comme un titre de gloire le sobriquet qu’on leur a donné. Il n’y a pas encore longtemps, les knickerbockers formaient la véritable aristocratie de New-York.

Les Allemands, les Irlandais, sont également toujours très reconnaissables dans la grande Babel américaine, et à plus forte raison les Chinois, qui depuis 1848 se perpétuent sur les rives du Pacifique, notamment en Californie, avec leur caractère immuable. Il y a en ce moment en Amérique deux grands partis politiques : les Allemands marchent avec les républicains, les Irlandais avec les démocrates ; on sait que le premier parti proclame le droit de l’Union, le second le droit des états. Celui-ci était avec les confédérés, celui-là avec les fédéraux ; il a triomphé avec le général Grant. Le parti républicain demande de plus la concentration et l’extension de l’autorité présidentielle et militaire. En tout autre pays, ces idées mèneraient tout droit à la dictature ; la chose n’est pas encore à craindre aux États-Unis, où les partis d’ailleurs se pondèrent et changent eux-mêmes avec le temps et de dénomination et d’objectif[1]. C’est en vertu du nombre toujours plus grand des Irlandais à New-York que cet état donne la majorité au parti démocratique, tandis que dans la Nouvelle-Angleterre, où dominent les purs yankees, et dans les principaux états agricoles de l’ouest, si peuplés d’Allemands, c’est le parti républicain qui prévaut. Ce parti l’emporte également dans les états du Pacifique, tandis que les états du sud sont restés fidèles au parti démocratique ; mais les républicains y tiennent ce parti en échec par le vote des nègres émancipés et par des lois d’exception, celles de l’état de siége.

Faut-il mentionner un nouveau trait qui distingue en Amérique les

  1. Qu’est devenu ce parti des know-nothings ou des natifs américains qui, — effrayé de l’affluence toujours plus grande des irnmigrans et surtout des Irlandais, devenus maîtres des élections dans les grandes villes, — voulait en 1856 priver du droit de vote tous ceux qui n’étaient pas nés en Amérique ? Et ces copper-heads, et ces locofocos, qui s’étaient formés dans le nord pendant la guerre de sécession pour défendre les droits du sud, qui se rappelle seulement leurs noms baroques, même aux États-Unis ?