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tions, ces references dont les Anglais et les Américains sont si jaloux. Chaque travailleur donne en entrant dans ce bureau son nom, celui du navire qui l’a amené, la date de son arrivée, la nature de sa profession. On distingue trois catégories principales : les farmers ou cultivateurs, les mechanics ou artisans, c’est-à-dire les ouvriers professionnels, enfin les laborers ou journaliers, manœuvres, hommes de peine, bons à tout faire. Chaque personne qui demande à engager des immigrans donne également son nom, sa résidence, les recommandations dont elle est porteur et le genre de travailleurs qu’elle désire. La police veille avec soin sur les opérations de ce bureau pour que l’engagement des femmes ne donne lieu à aucun fait fâcheux.

Le Labor-exchange date de 1850. Pour donner une idée de l’utilité et de l’importance de ce bureau, il suffira de dire qu’en 1860 il a procuré un emploi à 35 000 immigrans, hommes ou femmes, et de seize nationalités différentes, mais principalement Irlandais ou Allemands. Comme curiosité, on relève parmi eux 8 Arabes. Le nombre d’immigrans arrivés cette année-là à New-York atteignit près de 260 000 ; le seul bureau du travail en avait donc placé plus d’un septième. La demande sur ce marché est du reste toujours plus grande que l’offre, c’est-à-dire qu’on demande encore plus d’ouvriers qu’il ne s’en présente à placer. Tout y est fait gratuitement, comme dans toutes les autres dépendances de Castle-Garden, et ni travailleur, ni patron, ni l’engagé, ni celui qui l’engage, n’ont de commission d’aucun genre à payer.

C’est à ce bureau du travail qu’on se procure la plupart des servantes, si difficiles à trouver en Amérique. Ce sont surtout des Irlandaises qui se louent pour ces fonctions domestiques, qu’aucune Américaine ne consentirait à remplir. Dans les hôtels des États-Unis, on distingue ces Irlandaises à leur habitude de porter les bras nus. Elles font un assez bon service de chambrières et se louent aussi comme cuisinières dans les maisons privées. En Californie, où les femmes manquent encore, et où une bonne domestique se paie de 150 à 200 francs par mois, beaucoup de ces Irlandaises n’ont pas tardé à faire d’excellens mariages.

Grâce à la bienveillance avec laquelle les commissaires de l’émigration laissent visiter Castle-Garden aux étrangers, il nous a été donné plusieurs fois de parcourir les différens départemens de cet édifice qui viennent d’être décrits. Un jour du mois de juin 1870, un navire venait précisément d’arriver, chargé d’immigrans. C’était un grand voilier anglais, amarré par le travers au quai ou pier de Castle-Garden. Les passagers sortaient un à un de cette prison de bois où ils avaient séjourné plusieurs semaines. Passant sur une planche branlante, ils arrivaient au milieu de la Rotonde, étonnés,