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cident. L’influence des mœurs européennes débuta naturellement par les pays les plus voisins, par la Pologne et la Lithuanie, pour continuer par l’Allemagne, la Hollande, l’Angleterre, et aboutir enfin à la France et à l’Occident tout entier. Dès le XVe siècle, Ivan III, à cet égard comme à tant d’autres le devancier de Pierre Ier, entrait en relation avec les souverains de l’Europe, et leur demandait des médecins, des artistes, des ouvriers. De l’Italie, alors l’institutrice de toute l’Europe, il recevait par Byzance ou par l’Allemagne des architectes et des ingénieurs. Ce sont des artistes de Bologne ou de Venise qui, sous Jean III et ses successeurs, construisirent les plus belles églises et les plus belles tours du Kremlin. Chose remarquable, au lieu d’apporter leur style de la renaissance, qu’en Europe ils installaient partout en maître, ces Italiens prirent des modèles russes et bâtirent les églises les plus moscovites de Moscou. Dans cette anomalie, il y a un enseignement. Les coupoles d’Ouspanski et de Vassili Blagennoï sont un symbole de la position des étrangers alors en Russie ; au lieu d’imposer aux Russes leurs goûts et leurs coutumes, ils étaient obligés de prendre les leurs. Avec des artistes, Ivan III appelait des artisans de toute sorte, fondeurs, orfévres, mineurs, maçons, artificiers. Ainsi dès le premier jour de l’imitation étrangère se trace le chemin que suivra Pierre le Grand, c’est par le côté matériel, technique, industriel, que la Russie se rapproche d’abord de l’Europe. Comme Pierre Ier, Ivan III et Ivan IV se soucient plus de former leur peuple aux arts mécaniques qu’à la science ou aux beaux-arts. Après Ivan III, Vassili IV, marié à une Lithuanienne, non content d’appeler les étrangers, va, pour plaire à sa femme, jusqu’à prendre leurs usages et à couper sa barbe. Sous Jean IV, Ivan le Terrible, la Moscovie entre par Archangel en relation avec l’Angleterre ; c’est ce prince qui, malgré les moines, introduit l’imprimerie en Russie. Il envoie en Europe des émissaires lui rassembler d’habiles ouvriers ; mais la plupart sont retenus au passage par la jalousie militaire de l’ordre teutonique, et la jalousie marchande des villes anséatiques, qui, dans l’intérêt des armes ou du commerce allemands, tentent de mettre la Russie en interdit.

La période des usurpateurs compromit l’influence européenne en l’exagérant. Sur le point de régner en Russie avec les faux Dmitri ou les armées polonaises, les étrangers parurent menacés d’être chassés avec eux. Les Romanof semblaient devoir être peu favorables au rapprochement avec l’Europe. C’était le peuple qui, dans une réaction nationale, les avait portés au trône ; le premier souverain de leur maison, Michel, avait été éduqué dans un couvent par une mère devenue religieuse, et c’est un père devenu patriarche qui gouverna l’empire en son nom. Cette dynastie, de sang entièrement russe et d’origine presque sacerdotale, prit à tâche de