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en velours rouge brodé d’or ; l’air arrivait à travers un treillis doré. Nous atteignîmes le palais de Mahmoudieh, qui, situé près du Nil, au milieu de jardins magnifiques, a un aspect européen. Je passai de l’une des cours dans un vestibule spacieux au-delà duquel un bel escalier conduisait aux appartemens supérieurs. Sur mon passage se tenaient des rangées d’esclaves vêtues de soie de brillantes couleurs et parées de bijoux d’un grand prix. Pour me faire honneur, d’autres esclaves me prirent sous les bras, tandis que des eunuques soutenaient les plis de mon feradje[1]. Je fus reçue au sommet de l’escalier par la trésorière de la princesse, qui m’introduisit dans une vaste salle pour m’y reposer. Bientôt après elle vint m’avertir que son altesse m’attendait. Je la trouvai assise sur son divan et fumant un long chibouk. Elle se leva et me souhaita la bienvenue. C’était une femme de taille moyenne et assez brune ; ses traits exprimaient une énergie peu commune, ses yeux pénétrans et hardis brillaient d’intelligence. Je me prosternai, elle salua gracieusement et m’engagea d’un geste de la main à m’asseoir sur le divan placé en face du sien.

« Autour de l’appartement se tenaient de vieilles femmes, dont l’emploi était d’amuser son altesse en racontant des histoires. On m’apporta un chibouk, et la princesse commença la conversation par des complimens ; puis nous parlâmes de différens sujets. Nazly-Hanum me parut connaître à fond les affaires d’Orient ; pendant notre entretien, on apporta des sorbets, puis du café. Au bout d’une demi-heure, je me retirai dans l’appartement qu’on m’avait préparé ; il était magnifique comme tout le reste du palais. Nazly-Hanum dîna seule avec moi. La table, couverte de soie brodée, supportait des mets variés servis dans de l’argenterie artistement travaillée ; les cuillers mêmes étaient ornées de pierres précieuses. Après le repas, nous allâmes toutes dans le jardin fumer et prendre le café autour d’une table. Vers dix heures, on apporta des fruits et le sorbet dans des tasses d’or enrichies de diamans, ainsi que les couvercles. La princesse, ayant bu du vin et de l’eau-de-vie, causa plus familièrement avec moi, puis elle permit à quelques-unes des esclaves les plus âgées de s’approcher. L’une d’elles jouait le rôle de son amant ; elles se mirent à parler de galanteries… Pendant cette scène, qui s’animait à mesure qu’augmentait l’ivresse des deux actrices principales, quelques jeunes esclaves dansaient en s’accompagnant de castagnettes de cuivre, d’autres chantaient. Celles que leur devoir obligeait à se tenir debout autour de la chambre tombaient de fatigue. On voyait à leur mine qu’elles avaient l’habitude de passer la

  1. Vaste manteau qui balaie la terre, à manches pagodes et à pèlerine.