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pelle un peu les manteaux de cheminée de Blois ou de Chambord. Le toit semble au premier coup d’œil être fait de chaume ; avec plus d’attention, on s’aperçoit qu’il est composé d’une foule de petites lamelles de bois, d’une régularité parfaite, formant une couche d’environ 30 centimètres d’épaisseur. Au-dessous, des sculptures, des dragons découpés, mille sujets variés, et les battans garnis d’or et de bronze à profusion. Tout cela, avec les pendentifs et les chapiteaux, fait de chaque porte une œuvre remarquable et bien digne d’être admirée. Le Nidjio, frère du Gosho, est l’ancienne résidence du taïcoun, quand il venait à Kioto.

Kioto est un grand Versailles de bois, régulier, triste, mourant, abandonné par la vie, qui s’est réfugiée à Yeddo. On y trouve partout les traces du plaisir, nulle part celles du travail : commerce de luxe, soieries, bibelots, maisons de thé, concerts de guitare, tout l’attirail d’une Babylone défraîchie et démodée.

Dans la direction du sud, c’est encore une série de temples dont les enceintes de verdure se touchent : Higashiotani avec ses escaliers gigantesques, Yasaka, Kiomidzu, à moitié suspendu sur pilotis, au-dessus d’une gorge abrupte, — Nisiathani, remarquable par un pont de pierre d’une courbure si exagérée qu’on ne peut la gravir qu’à quatre pattes (au lieu d’arches, ce pont est percé de deux orifices qui lui ont valu le nom de pont des lunettes), — le Daibuto, idole en bois, la plus grande du Japon, — Ringeoin, si grand qu’on avait organisé un tir à l’arc sous ses vastes galeries, — Mimidzuka (le tombeau des nez et des oreilles). Il paraît que c’était l’habitude des vieux guerriers japonais de rapporter les têtes des vaincus aux pieds de leur empereur ; il y en eut tant lors de la conquête de la Corée, qu’on leur permit de rapporter seulement le nez et les oreilles ; encore fallut-il creuser, pour contenir tous ces trophées, une fosse de 720 pieds de circonférence et de 30 de profondeur, sur laquelle s’élève la pyramide que l’on voit aujourd’hui.

Notre soirée fut consacrée à un ballet de guéchas dansant au son du tambourin et du chamissen. Pour la première fois, nous entendîmes là quelque chose qui de loin ressemble à la musique. Quant aux danses, il y en a de très originales. Le type des femmes de Kioto a une réputation générale au Japon ; je me hâte d’ajouter qu’elle est bien méritée. Le nez aquilin, les yeux bien fendus et expressifs, la bouche fine et de belles dents, malheureusement laquées, même chez les jeunes filles, l’ovale régulier, se rencontrent là beaucoup plus souvent que partout ailleurs. C’est merveille de voir ces teints blancs, ces beaux cheveux noirs, cette coiffure particulière aux femmes de Kioto et qu’on cherche à imiter dans tout le Japon, à la cour surtout, ces jarrets solides sur lesquels se relèvent de beaux vêtemens. Que de jolis minois qui ne jureraient nullement