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des mikados au iie siècle, alors qu’on n’avait pas relégué ces monarques dans la souricière de Kioto. Les rues larges, dallées de blocs de granit, l’étendue de la ville, la régularité de ses maisons basses, l’encadrement des collines qui la dominent, lui donnent une physionomie remarquable. Ce qui est plus caractéristique encore, c’est, en approchant du lac, la série des kurayashi (palais-magasins) qui plongent leurs assises dans l’eau. C’étaient des godons princiers, concédés jadis aux seigneurs riverains pour emmagasiner les denrées qui constituaient leurs revenus, et qui venaient s’y entasser avant de gagner en bateau les provinces de l’autre rive.

Le lendemain fut consacré à une excursion à Hirasaki en bateau à vapeur. Après un bain délicieux dans les eaux du lac, par une température de 34 degrés, nous déjeunâmes sous un très vieux mats qui a plus de trois siècles et qui appuie ses branches tortues sur des étais chancelans. J’avoue que j’aime autant regarder un beau chêne de cinquante ans, dans son libre développement, que ces victimes de la végétation dont les horticulteurs japonais sont les Procustes ; mais c’est la mode ici, — cela répond à tout. Malgré une chaleur accablante, nous ne pûmes résister à la tentation de gravir les premières assises de la montagne de Heizan, qui domine à la fois le lac Biwa et Kioto. Du haut du temple, dont le nom m’a échappé, nous eûmes la vue la plus complète du lac. Cette grande nappe d’eau de 25 lieues de long et 10 de large, admirablement encadrée, attire et retient le regard. On voudrait traverser le lac dans tous les sens, gagner l’ouest, passer jusqu’à la mer du Japon, mais il faut commencer par regagner notre tchaïa de Hirasaki. Rentrés à Otsu, nous fîmes une ascension au temple de Midéra : la vue est également belle, et le temple lui-même offre des beautés d’un ordre supérieur. C’est ici le moment d’ouvrir une parenthèse et d’expliquer ce que représente le mot temple, qu’il faut employer pour abréger, mais qui serait plus exactement remplacé par série de monumens religieux. Cette explication me paraît indispensable au moment où nous approchons de la ville qui contient les monumens les plus célèbres dans ce genre.

Pour avoir une idée du temple de Midéra, qu’on se figure un espace comme le parc Monceau par exemple, souvent beaucoup plus grand, planté d’arbres gigantesques et très accidenté, généralement au flanc d’une colline. Sur une première plate-forme où l’on arrive par des escaliers, il y a trois chapelles, une principale au fond, deux accessoires un peu en avant ; puis on remonte ou on redescend, suivant la disposition du terrain, le long d’une autre avenue ; de nouveaux escaliers mènent à une bonzerie, au-delà encore un