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provisions du déjeuner, — un autre en queue, chargé de presser la race indolente des Mangos, qui conduisaient dix chevaux portant les vivres et les bagages.

Bientôt la montée devient plus ardue ; nous nous élevons bien au-dessus des torrens que nous suivions tout à l’heure, et après un rude coup de collier nous arrivons au Wagi-Togé. Favorisé par un beau temps comme nous l’étions, le voyageur jouit d’un spectacle magnifique. Au sud se dressent les cimes enchevêtrées des montagnes qui servent de réservoir à tous les tributaires de la baie de Yeddo. L’œil cherche vainement à s’orienter dans ce labyrinthe, et celui-là même qui vient d’en sortir se demande comment il a été possible d’y trouver un passage. Au nord s’étend le plateau qui sert de base à l’Asamayama, entouré d’un cercle de montagnes presque régulier. Enfin au centre de ce vaste panorama la masse imposante du volcan se détache sur un ciel bleu, vers lequel il envoie sa fumée en flocons blancs bientôt condensés en nuages.

Jusqu’à Oïvaké, nous descendons une pente presque insensible qui nous conduit au pied même de l’Asamayama, à travers un plateau sans culture, où rien ne rappelle ces belles vaches, ces troupeaux de moutons qui animent notre campagne française. Oïvaké est un assez pauvre village ; nous y dînons gaîment. On se couche sans moustiquaire sur la foi des traités ; mais les habitans se sont vantés en se déclarant exempts du fléau, et il faut, au milieu de la nuit, allumer des herbes dans les chambres pour assoupir nos cruels ennemis.

Le 5, à cinq heures et demie, nous nous mîmes en route à cheval pour faire l’ascension du volcan. Nous étions précédés d’un guide et suivis de plusieurs ninsogos portant les provisions du déjeuner que nous comptions manger au sommet, un hypsomètre et des vêtemens de rechange, car on nous avait annoncé qu’il y avait de la neige. J’avais oublié de remettre ma gourde aux porteurs ; la trouvant sous ma main, je la passai machinalement à mon cou ; elle allait bientôt jouer un rôle mémorable. Au bout d’une demi-heure de route, le soleil se leva au-dessus des hauteurs circulaires que nous avions embrassées la veille du regard : le disque brilla quelques instans, puis s’éclipsa dans les vapeurs du matin qu’il faisait surgir. De temps en temps, une rafale, secouant le voile étendu sur nos têtes, nous montrait la cime que nous gravissions et son panache de fumée. Au bout d’une heure de marche pénible à travers des herbes sèches et des conifères rabougris, nous arrivâmes à un étang ferrugineux dont les eaux, rouge d’ocre, étaient habitées par des nageurs des deux sexes. Ils accomplissaient une dévotion, ayant pour objet de demander de la pluie au génie de la montagne.