Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

COMÉDIE-FRANÇAISE.

JEAN DE THOMMERAY, par MM. Émile Augier et Jules Sandeau.


L’estime et la sympathie dont MM. Émile Augier et Jules Sandeau sont entourés, et le silence qu’ils gardent depuis trop longtemps, suffiraient à expliquer l’impatience avec laquelle leur nouvelle pièce était attendue ; mais de plus on avait lu le Jean de Thommeray, publié dans la Revue des Deux Mondes[1], on en avait apprécié le bien-dire et la délicatesse, qui sont les signes distinctifs du talent de M. Sandeau ; on avait été ému par le parfum d’honnête franchise, par le patriotisme sincère, qui animent ce roman, et l’on était d’autant plus désireux de retrouver au théâtre ces rares qualités, rendues plus saisissantes encore par le relief de la mise en scène. Le public n’a point été trompé. Il serait difficile de fixer la part qui revient à chacun des deux auteurs dans le succès de cette pièce. Et, quoiqu’en beaucoup d’endroits la griffe de chacun d’eux apparaisse, nous préférons ne pas diviser la responsabilité de l’œuvre, et laisser à leur communauté le poids tout entier du succès.

Le comte de Thommeray, comme on sait, vit en Bretagne, dans le château de ses pères, entouré de sa famille et de ses paysans. Des trois fils que le ciel lui a donnés, l’aîné seul, le vicomte Jean de Thommeray, est à la maison, où il mène comme son père la vie de gentilhomme campagnard, l’aidant à la gestion des biens, chassant, chevauchant dans les bois et respirant à pleins poumons l’air parfumé des grandes landes. Ce genre de vie n’a pas peu contribué à lui donner un caractère tout particulier. Aux délicatesses d’une nature aristocratique, aux nobles enthousiasmes d’un brave cœur, viennent se joindre les ardeurs contenues et les âpres énergies du Breton ; on devine en lui des rudesses, — et je ne sais quoi d’un peu sauvage qui inquiète sans déplaire. Il a déjà payé son tribut à la patrie par un séjour de quelques années dans l’armée, suivant en cela les traditions de la famille, qui veulent qu’un de Thommeray ait commencé la vie par être soldat. Il a fait comme son père, ses frères font comme lui, et au moment où la toile se lève on s’apprête au château à fêter le retour des deux jeunes soldats.

C’est au milieu de ces joyeux préparatifs que survient la baronne de Montlouis. Est-ce la curiosité qui l’amène chez le comte de Thommeray, qu’elle ne connaît pas, ou sa visite a-t-elle en effet pour but le règlement de certaines affaires de voisinage ? Ce qu’il y a de certain, c’est que Jean de Thommeray se trouve précisément là pour la recevoir et bien vite est sous le charme de cette séduisante créature. Elle

  1. Voyez la Revue du 1er avril 1873.