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égal des biens y est de règle. La prorpriiété est souvent petite, mais on lui demande et elle donne beaucoup. Dans un pays riche en voies de communication, les produits ont un marché plus étendu et gagnent ainsi en valeur. Les sociétés de crédit, inconnues dans l’est, où elles courraient de trop grands risques, prêtent leur assistance aux cultivateurs : caisses d’épargne, sociétés de production, de consommation, d’assurances mutuelles, s’y multiplient et prospèrent. Si le partage amène un tel morcellement que l’exploitation devienne impossible, le paysan vend le bétail et le mobilier, mais il garde la maison entourée d’un jardin, et se fait ouvrier de culture ou d’industrie : les ouvriers de cette sorte sont les meilleurs parce qu’ils sont fixés au sol et défendus contre la propagande des agitateurs socialistes. En un mot, dans la province du Rhin l’aisance est partout répandue parce qu’un grand nombre d’hommes a part à la propriété. Aussi quelle différence d’aspect avec la province de Prusse, la Poméranie, Posen ! « Dans l’ouest, dit l’écrivain allemand, tout revêt un vif coloris ; il est rare aujourd’hui d’y rencontrer des fermes isolées ; le commerce, l’agriculture, l’industrie, se mêlent et se soutiennent ; les champs, morcelés à l’infini, offrent à l’œil une variété de couleurs qui le réjouit. Dans l’est, le voyageur trouve la solitude ; les champs de pommes de terre à perte de vue, par endroits une cheminée qui fume, une propriété qui annonce la fortune, mais ailleurs un village désert, des maisons abandonnées, de triste apparence et près de s’écrouler ; puis vous rencontrez çà et là un contrôleur d’impôts à cheval, un juif en voiture, un prêtre qui chemine, et c’est tout ! »

On voit à quelles causes profondes tient l’émigration allemande. C’est parce que l’amour de la propriété, un des sentimens les plus puissans sur le cœur de l’homme, ne peut être satisfait dans ces malheureuses provinces que la population n’y a point de racines. Elle se déplace à la moindre occasion qui lui est offerte. En ce moment, la Prusse pousse ses travaux militaires du côté de la France ; les entrepreneurs, pour faire baisser les salaires, ont envoyé dans l’est des racoleurs qui, l’argent à la main, ont aisément embauché quantité de terrassiers et de maçons. Les cultivateurs se plaignent sans cesse du manque de bras, et n’est-ce pas une chose caractéristique que dans le pays de Mecklembourg, qui pourtant souffre du même mal, des agences se mettent aujourd’hui à recruter des valets de ferme pour les grandes propriétés des provinces de l’est ? Ces agences entraînent quelques pauvres gens, mais ceux qui peuvent disposer d’une centaine de thalers écoutent les choses merveilleuses qu’on leur raconte d’Amérique. Ils savent qu’au-delà de l’Océan le travail étant très recherché, la main-d’œuvre est à très haut prix, tandis que la terre est à bon marché. Ils vont donc cher-