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y avait certainement là quelque chose de singulier. Selon la logique des choses, nos parens étant d’églises différentes et ne voulant pas empiéter sur les droits l’un de l’autre, j’eusse dû appartenir à la communion de mon père, ma sœur eût dû suivre celle de sa mère. Le contraire avait eu lieu ; j’étais protestant sans avoir demandé à l’être, comme si la vocation de Jeanne pour le catholicisme eût été tellement décidée que nos parens eussent dû échanger leur droit respectif.

Je n’avais point souvenir de la manière dont les choses s’étaient passées, mais en ce moment j’y songeais, parce que toutes mes pensées se reportaient sur Manoela Ferez. Je me disais que cette jeune fille, élevée au couvent, me repousserait peut-être à cause de mon hérésie, et que peut-être c’était là l’obstacle devant lequel mon père s’était arrêté.

Je ne pus me tenir de questionner Jeanne. — Explique-moi donc, lui dis-je, comment il se fait que nous ne soyons pas de la même religion !

Elle tressaillit comme si je l’eusse réveillée. — Mais… je ne sais pas, répondit-elle ; cela vient sans doute de ce que nous avons été baptisés chacun dans la religion que nous suivons.

— Tu as donc été baptisée catholique ?

— Certainement. Tu ne t’en souviens pas ?

— Ma foi non ; j’étais trop jeune, je n’avais que trois ans quand tu es née, et tu t’en souviens encore bien moins. Comment le sais-tu ?

— Parce qu’on ne m’a pas rebaptisée au couvent.

— Le baptême protestant ne vaut donc rien selon toi ?

— Il est détestable. Si tu avais un peu de cœur et de raison, tu te ferais catholique.

— Moi ? Non certes ! Il est peut-être malheureux pour moi (je songeais à Manoela) qu’il y ait cette différence entre nous. Si c’était à refaire,… peut-être…

— C’est toujours à refaire quand on veut. Maman ne dirait pas non, si papa l’exigeait, et tu devrais en parler à papa.

— Papa n’exigera jamais rien de maman, et d’ailleurs il est trop tard. J’ai trop compris la supériorité de ma communion pour ne pas regarder un changement comme impossible et coupable.

Là-dessus s’éleva entre ma sœur et moi une vive discussion religieuse dont je ferai grâce au lecteur, car certainement aucun de nous ne sut donner les bonnes raisons qui eussent pu servir sa cause. Nous n’en fûmes que plus passionnés, comme il arrive toujours quand on a tort de part et d’autre. Je reprochai à Jeanne de ne pas aimer sa mère autant qu’elle le devrait, puisqu’elle acceptait une croyance selon laquelle cette bonne et tendre mère, modèle de courage et de vertu, devait être damnée dans l’éternité.