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révélateur quelques mots d’une dépêche secrète que M. de Beust aurait adressée le 20 juillet au prince de Metternich, et qui aurait dit : « Veuillez donc répéter à sa majesté et à ses ministres que nous considérons la cause de la France comme la nôtre, et que nous contribuerons au succès de ses armes dans la limite du possible. » Que l’Autriche, dans cette dépêche destinée à être le commentaire bienveillant et secret d’une déclaration de neutralité qu’elle venait de faire, tînt à rester en intimité avec la France, qu’elle ne considérât pas la neutralité comme sa politique définitive, qu’elle gardât le désir et l’intention de prêter un concours plus actif à la cause française, c’est vraisemblable, c’est même certain. C’était une sympathie acquise, une disposition toute favorable. Jusqu’où est allée cette disposition ? A-t-elle pris jamais la forme d’un engagement diplomatique d’un effet immédiat ? L’Autriche, accoutumée à plus de mesure, pressée de prendre un parti, se trouvait, à vrai dire, dans la situation la plus compliquée, la plus difficile. D’un côté, la Russie la surveillait de près et ne tardait pas à peser de tout son poids sur elle, de façon à la retenir par ses conseils ou par ses menaces ; la Russie ne lui laissait pas ignorer qu’à chaque mouvement autrichien répondrait un mouvement russe. D’un autre côté, le cabinet de Vienne, M. de Beust, avait à compter avec l’opinion, qui s’agitait autour de lui. La France avait certes à la cour et dans l’armée des partisans nombreux, l’empereur lui-même, l’archiduc Albert, qui peu auparavant était venu à Paris ; mais les Allemands de l’Autriche se déchaînaient à la seule idée d’une participation à la guerre, d’une alliance française, et ils étaient soutenus par certains


    vouloir se départir d’une réserve et d’une discrétion complètes, ajoutant qu’il y avait un « avantage national, patriotique, » à prouver au monde qu’on savait encore garder un secret en France, que les cabinets pouvaient traiter en toute sureté avec notre pays. Rien de mieux ; bientôt cependant M. de Gramont en est venu à des demi-divulgations qui ont provoqué des réponses de M. de Beust, sans éclaircir les faits. De deux choses l’une : ou M. le duc de Gramont devait persister dans l’attitude de réserve qu’il avait prise, et c’eût été un exemple aussi utile qu’honorable ; ou bien, s’il entrait dans la voie des explications, il devait parler plus clairement. De plus, il y a deux circonstances au moins singulières. On peut se demander comment M. de Gramont peut se croire autorise à se servir de pièces qu’il dit ne point garder « à son domicile, » et dont le domicile réel devrait être le ministère des affaires étrangères. D’un autre côté, s’ils avaient entre les mains des traités comme ceux dont on parle, on admet difficilement que des ministres d’un gouvernement tombé, voyant la défense nationale se poursuivre, non plus, il est vrai, au nom de l’empire, mais toujours au nom de la France, n’aient pas cru devoir communiquer ces documens soit à la délégation des affaires étrangères, qui était à Tours, soit à M. Thiers, qui parcourait l’Europe. Il est à craindre qu’il n’en soit de ces traités comme de cette dépêche venue, dit-on, vers le 4 septembre de Saint-Pétersbourg pour garantir l’intégrité de la France, au moment où la Russie assurait la liberté de la Prusse en faisant de sa neutralité une gêne et une menace pour l’Autriche.