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le temps de faire une dernière tentative pour prévenir la grande conflagration.

Quel était donc le secret de cette impatience avec laquelle on semblait courir tête baissée au champ-clos où l’on devait pourtant bien savoir qu’on ne trouverait pas un ennemi au dépourvu ? Elle ne pouvait s’expliquer que si on avait eu le soin de s’assurer des conditions favorables par une longue et active prévoyance, que si, en un mot, on était prêt diplomatiquement et militairement. C’était la question qui s’élevait aussitôt. Diplomatiquement, cette question restait, à vrai dire, des plus obscures. Après ce qui venait de se passer, l’opinion de l’Europe faisait une volte-face qui ne promettait pas même un appui moral. L’Angleterre était d’avance en dehors de toute lutte continentale. La Russie avait à Berlin ses habitudes d’intimité, ses liens de toute sorte habilement entretenus depuis plusieurs années par M. de Bismarck, et on allait bien voir que, tout en témoignant de l’intérêt, de la sympathie pour la France, la Russie était plutôt disposée à faire de sa neutralité une garantie pour la Prusse. Lorsque la commission nommée par le corps législatif pour décider de la paix ou de la guerre se réunissait le 15 juillet au soir, on interrogeait M. le duc de Gramont, qui s’était fait attendre ; on lui adressait justement cette question : « Avez-vous des alliances ? » Et M. de Gramont faisait cette réponse d’une diplomatie transparente : « Si j’ai fait attendre la commission, c’est que j’avais chez moi, au ministère des affaires étrangères, l’ambassadeur d’Autriche et le ministre d’Italie. J’espère que la commission ne m’en demandera pas davantage. » Là était en effet le nœud de la situation. On se flattait d’avoir l’alliance du Danemark, qu’on ne nommait pas, de l’Italie et de l’Autriche, qu’on nommait, et peut-être aussi de réussir, avec quelque habileté ou par un premier succès, à retenir, à enlever une partie de l’Allemagne du sud, méfiante ou secrètement hostile à l’égard de la Prusse. On se flattait, c’est le mot ; — où en était-on réellement ? La vérité est qu’on n’avait rien fait jusque-là, qu’on avait engagé, précipité cette crise sans prévenir même les cabinets les mieux disposés pour la France, qu’on se trouvait enfin sans avoir rien préparé avant la guerre et avec des alliés possibles du lendemain, dont le concours restait subordonné à toute sorte de considérations, à des éventualités qui échappaient à tout calcul. Des sympathies, des vraisemblances de coopération fondées sur des solidarités de situations et d’intérêts, il y en avait assurément ; au-delà, rien de précis, rien de décisif, rien qui ressemblât à une communauté d’action délibérée, concertée et assurée.

C’était vrai pour l’Italie comme pour l’Autriche. Sans doute, de-