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prévu ni la rapidité ni la puissance, et au premier moment on ne pouvait se défendre de cette « angoisse patriotique » dont le ministre d’état, M. Rouher, allait bientôt faire l’aveu. Deux politiques étaient possibles, bien qu’étrangement difficiles, pour la France : ou bien se résignant après coup à ce qu’on avait eu l’imprévoyance de favoriser, on devait accepter sans mauvaise humeur la révolution qui venait de s’accomplir par les armes, prendre son parti de cette unité déjà plus qu’à moitié réalisée, et nouer avec l’Allemagne nouvelle des relations de sympathie et de paix ; ou bien, si l’on jugeait de si graves transformations incompatibles avec les intérêts les plus essentiels de la France, si l’on était décidé tout au moins à maintenir l’intégrité de la ligne du Mein entre les deux Allemagnes, il fallait s’avouer qu’on entrait dans une ère d’inévitables antagonismes, et on devait « se préparer à la guerre sans relâche, » comme le disait bientôt notre ambassadeur à Berlin, M. Benedetti. Aussi incohérente après l’événement qu’elle avait été aveugle avant Sadowa, la France impériale allait perdre quatre ans à confondre ou à brouiller ces deux politiques, passant du trouble à des affectations de sérénité et de confiance, d’un côté laissant entrevoir des désirs de compensations, négociant secrètement l’affaire du Luxembourg, d’un autre côté déclarant, par une des plus étonnantes manifestations de notre diplomatie, par la circulaire du 16 septembre 1866, que tout était bien, que les grandes agglomérations étaient le résultat d’une loi providentielle, que l’ordre nouveau était la plus sûre garantie de la paix. La politique française était l’image de l’esprit qui l’inspirait, du souverain à qui, selon le mot curieux de M. de Morny, il était « le plus difficile d’ôter une idée fixe et de donner une volonté ferme. »

La vérité perçait dans un fait bien autrement significatif. La première conséquence de Sadowa était l’obligation pour la France de sonder ses forces, d’élever son état militaire à la hauteur de la situation nouvelle. Le dithyrambe diplomatique de 16 septembre 1866 avait pour corollaire inattendu la nécessité avouée, pressante, d’une réorganisation de l’armée. Certes l’armée française restait toujours un des plus merveilleux instrumens de combat. Elle gardait devant le monde le lustre des campagnes de Crimée, d’Italie, et dans ses rangs ne cessaient de se presser les soldats intrépides, les officiers intelligens, brillans et dévoués. La révélation soudaine d’une force de guerre comme celle qui venait de se déployer en Bohême, le sentiment d’un danger réel, conduisaient néanmoins à une sorte d’examen de conscience plein d’anxiété, à des doutes qui de proche en proche s’étendaient non-seulement à des questions d’effectif et d’armement, mais aux institutions, au moral militaire lui-même.