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veille encore, la Prusse était une puissance assurément sérieuse, vivace de sève et d’ambition, mais ne comptant pas plus de 18 millions d’âmes, embarrassée de difformités territoriales, contenue par la prépondérance traditionnelle de l’Autriche en Allemagne, limitée et liée dans son action par le système de fédération germanique. Le lendemain, tout avait changé. L’Autriche était exclue de l’Allemagne, l’ancienne constitution germanique avait disparu. Seule la Prusse restait debout, agrandie tout à coup, — directement par l’annexion du Hanovre, de la Hesse électorale, de Nassau, de Francfort, — indirectement par la création de cette nouvelle confédération du nord dont elle devenait la tête et le bras. Ce n’est pas tout, l’Allemagne du sud elle-même, malgré cette frontière du Mein dont la paix de Prague semblait la couvrir encore, l’Allemagne du sud n’avait plus évidemment qu’une indépendance fictive et provisoire déjà plus qu’à demi livrée à la suprématie de Berlin par les alliances secrètes imposées à la Bavière, à Bade, au Wurtemberg. C’était la pierre d’attente de l’unité définitive au profit de la Prusse, qui, passant d’une population de 18 millions d’âmes à 25 millions, — à 29 millions avec la confédération du nord, — n’avait plus qu’un pas à faire pour étendre son hégémonie sur 40 millions d’Allemands. La puissance militaire prussienne grandissait naturellement dans les mêmes proportions. La Prusse, telle qu’elle était avant 1866, avec une organisation patiemment, énergiquement réformée depuis 1860, combinée de façon à fortifier l’armée par l’accroissement des contingens, par l’augmentation d’une année dans le service permanent, par le perfectionnement de l’éducation militaire et de tous les moyens de guerre, la Prusse disposait de 370 000 combattans d’armée active, de 600 000 hommes avec la landwehr. Par les annexions et par l’assimilation de la confédération du nord, elle avait maintenant 950 000 hommes, dont 550 000 au moins pouvaient être mobilisés en quelques jours. Les traités militaires avec l’Allemagne du sud lui assuraient 130 000 hommes de plus, de telle sorte que la Prusse victorieuse, politiquement maîtresse de l’Allemagne, s’appuyait désormais sur une force militaire de plus d’un million d’hommes. Voilà le résultat, voilà l’œuvre que la politique impériale avait laissée s’accomplir à notre frontière !

En face de cette Prusse nouvelle, dans quelles conditions, dans quelles dispositions restait la France ? À Paris, on voyait trop tard ce qu’on avait fait. On avait beau garder l’apparence d’un rôle imposant par une médiation qui n’était qu’une sanction des victoires prussiennes, — par cette cession de la Vénétie que l’Autriche vaincue consentait en faveur de Napoléon III dans l’espoir de le lier à sa cause ; on se sentait sous le poids d’événemens dont on n’avait