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France : « Oui, disait-il, il y aurait la Moselle. Je suis, quant à moi, beaucoup moins Allemand que Prussien, et je n’éprouverais aucune difficulté à souscrire la cession à la France de tout le pays entre Rhin et Moselle : Palatinat, Oldenbourg, une partie du territoire prussien. Le roi, il est vrai, aurait de graves scrupules et on ne l’y déciderait que dans un moment suprême. De toute façon, pour incliner l’esprit du roi à un arrangement avec la France, il faudrait connaître le dernier mot des prétentions de celle-ci[1]… » M. de Bismarck n’attendait qu’une ouverture, il se proposait même un instant de venir à Paris pour avoir une entrevue avec l’empereur, pour savoir, disait-il, « ce qu’il désire de nous. »

La France ne s’expliquait pas cependant ; elle jouait son rôle de sphinx, assistant avec une apparence d’impassibilité à toutes ces complications croissantes, aux préparatifs de la lutte qui se dessinait et se resserrait d’heure en heure entre la Prusse ayant l’Italie pour alliée et l’Autriche ayant à faire face de deux côtés à la fois, sur l’Adige et sur l’Elbe, mais appuyée sur tous les états secondaires de l’Allemagne encore liés à sa cause. Au lieu de suivre la haute et prévoyante politique conseillée par M. Thiers, ce qui était le mieux, — ou tout au moins d’imposer à M. de Bismarck des conditions précises, ce qui était possible jusqu’à la dernière heure, — la France officielle faisait deux choses : elle faisait le discours impérial d’Auxerre, qui était une réponse acerbe à M. Thiers, qui semblait destiné à aiguillonner, à rassurer la Prusse, en lui livrant l’ordre européen de 1815 ; quelques jours plus tard, après un vain essai de congrès, elle résumait sa pensée dans une lettre de Napoléon III à M. Drouyn de Lhuys, qui était une déclaration de neutralité, — « neutralité attentive ! » — accompagnée d’un programme de reconstruction européenne réservant tout au plus un droit vague pour le cas où l’équilibre public viendrait à être rompu. La politique impériale faisait une troisième chose qui était la digne suite et le couronnement de toutes les autres. Au moment où tous les combattans se jetaient déjà sur leurs armes, elle n’envoyait pas même une division aux frontières, et en cela, qu’elle agît par impuissance ou par une imprévoyance de plus, elle favorisait visiblement la Prusse, qui, tranquille de ce côté, restait libre de jeter deux de ses corps d’armée du Rhin sur l’Elbe, où elle sentait qu’elle avait à frapper le grand coup. Pour la première fois une guerre allait s’ouvrir au centre de l’Europe sans qu’un simple corps d’observation placé vers le Rhin pût répondre de nos intérêts, c’est-à-dire qu’après avoir ouvert ou laissé ouvrir l’outre aux tempêtes, on se désarmait volontairement

  1. Voyez le livre du général La Marmora, dépêche du général Govone.