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pressai vers lui pour le féliciter. « Dieu soit loué, dit-il, pour cette journée bénie ! Et quel bonheur que vous ayez été là ! »

Ce fut le dernier beau jour de Frédéric-Guillaume IV. M. de Bunsen prit congé du roi le 3 octobre 1857 ; quelques heures après, le roi fut frappé d’un coup de sang, première atteinte du mal qui peu à peu ébranla tout son être et l’obligea un an plus tard (9 octobre 1858) de laisser à son frère Guillaume la régence du royaume de Prusse.

M. de Bunsen, sans être aussi gravement menacé, avait besoin de réparer ses forces. Les hivers d’Allemagne ne lui convenaient plus. Au mois d’octobre 1858, à l’inauguration de la régence, il fut nommé membre de la chambre des seigneurs ; il y siégea quelques semaines, puis il s’empressa d’aller chercher un climat plus doux. Il s’était préparé une installation à Cannes ; il y arriva aux derniers jours de décembre et y resta jusqu’au milieu de mai. Il y retourna encore l’hiver suivant, du mois de décembre 1859 au mois de mai 1860. Dans l’intervalle, il était allé retrouver sa retraite studieuse aux environs de Heidelberg. Ces deux séjours prolongés en France avaient contribué à rectifier ses idées et à calmer ses passions. Il ne maudissait plus cette France qu’il connaissait mieux. Il avait eu occasion de voir, soit à Paris, soit à Cannes, quelques-uns des hommes qui forment l’élite de la société française. Il savait enfin rendre hommage aux grandes qualités de notre esprit. Il se demandait en quoi les Allemands avaient l’avantage sur les Français, en quoi les Français reprenaient le premier rang, et il traitait cette question avec modestie, avec impartialité, sans aucune trace de la lourde vanité germanique. « Paris, écrivait-il, m’a réconforté au physique et au moral… On sent quelque chose se dégager et dans la langue et dans l’esprit, quand on s’entretient avec des hommes tels que Mignet, Villemain, Cousin, Laboulaye, Saisset, Parieu, Michel Chevalier. » Il appréciait beaucoup ce dernier comme collaborateur de Cobden et le félicitait d’avoir préparé le traité de commerce avec l’Angleterre. À Cannes, il avait vu Mérimée, Ampère, Tocqueville surtout, qu’il appelle le plus grand, le plus noble publiciste du siècle. Il le visitait souvent pendant sa dernière maladie. Quand l’heure suprême s’annonça, ce fut lui qui prévint Ampère par le télégraphe. Il se mettait à la place du fidèle ami et craignait qu’il n’eût pas le temps d’arriver. Ampère en effet n’arriva que le lendemain de la mort de Tocqueville ; il put du moins conduire le deuil, et M. de Bunsen tint à honneur de l’assister dans ce douloureux office (avril 1859). 

Parmi tant d’épisodes que renferment ses lettres des deux der-