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II.

Le renvoi de lord Palmerston au mois de décembre 1851, la chute de lord John Russell et de tout le cabinet whig au mois de février 1852, avaient donné de fausses espérances au roi de Prusse ; les tories, comme les whigs, avaient fermé l’oreille aux propositions de Frédéric-Guillaume IV. Que sera-ce si lord Palmerston, réconcilié avec lord Russell, reprend bientôt le pouvoir, et si une crise européenne des plus graves, unissant les armes de l’Angleterre et de la France, vient justifier leur politique ? C’est précisément ce qui arriva. D’abord, le cabinet Derby ayant succombé le 16 décembre 1852 sous les attaques de toutes les opinions coalisées, lord John Russell, lord Palmerston, lord Clarendon, les principaux chefs du parti whig, prirent place dans un ministère formé par lord Aberdeen ; ensuite, aux premiers mois de l’année 1853, éclata une des grandes crises de la question d’Orient, la crise si grave qui devait faire flotter sur les mêmes champs de bataille les drapeaux de la France et de l’Angleterre.

On pense bien que nous n’avons pas à raconter, de 1853 à 1856, les différentes phases de cette crise ; notre sujet, ce ne sont pas les affaires d’Orient, c’est le caractère du roi de Prusse, si vivement empreint dans sa correspondance. La guerre de Crimée n’appartient pas à notre récit, puisque Frédéric-Guillaume IV a refusé d’y prendre part ; elle n’est pour nous qu’une occasion d’expliquer ses lettres à Bunsen et de montrer, non pas ses incertitudes, comme on l’a dit, mais la ténacité de ses défiances contre les puissances révolutionnaires de l’Occident. D’ailleurs l’histoire de cette guerre et des négociations qui l’ont précédée a été exposée ici même avec le plus grand soin à mesure que se déroulaient les événemens. Dès le 15 mars 1854, notre éminent et regretté collaborateur Eugène Forcade indiquait les origines de la lutte d’après les documens officiels du parlement britannique, puis, dans une série d’études aussi fortes que précises, interrogeant tour à tour l’Autriche et la Prusse, il faisait connaître l’attitude qu’elles avaient prise dans cette conflagration européenne. Nous nous proposons un but tout différent ; nous étudions la correspondance de Frédéric-Guillaume IV avec M. de Bunsen, et nous n’empruntons à l’histoire que ce qui est nécessaire pour en fixer le véritable sens.

La question d’Orient remonte à bien des siècles. Il y a une question d’Orient depuis qu’il y a en Europe un empire musulman auquel sont soumises des populations chrétiennes. De siècle en siècle, la question a changé d’aspect suivant les circonstances générales.