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voisins qui sont en communication facile, l’équilibre d’approvisionnement et de prix s’établira de plus en plus, parce que la moindre différence d’approvisionnement déterminera une différence de prix, et que la moindre différence de prix aura pour conséquence nécessaire de corriger l’inégalité d’approvisionnement, le commerce allant toujours acheter dans les pays les mieux pourvus, parce que les prix y sont plus faibles, pour revendre dans les pays moins bien approvisionnés, parce que les prix y sont plus élevés. Quand des obstacles naturels s’interposent entre deux marchés, quand les transports de l’un à l’autre y sont difficiles et onéreux, il y aura nécessairement une différence dans l’approvisionnement et dans les prix des deux marchés respectifs, car la condition nécessaire pour que le commerce agisse, c’est que l’écart soit assez grand pour offrir la perspective d’un profit ; mais cette différence se réduira aux dernières limites par l’action de la concurrence, si le commerce n’est pas entravé dans ses opérations.

Pour produire tous ses effets ou plutôt tous ses bienfaits, il n’est pas nécessaire que le commerce ait pris livraison du blé acheté, et qu’il l’ait transporté et revendu sur le lieu de consommation : il suffit qu’achat et vente aient été effectués ou soient même simplement possibles avant toute opération de livraison et de transport. Quand un commerçant spécule sur les grains ou sur les farines à terme, il produit identiquement les mêmes effets que s’il opérait au comptant ou sur livraison : en prenant livraison des grains, il équilibre les approvisionnemens et les prix dans l’espace ; en opérant à terme, il corrige les inégalités d’approvisionnement et de prix dans le temps. Sous ce rapport, le spéculateur remplit un rôle analogue, on peut le dire, à celui que joue le volant en mécanique : il régularise les approvisionnemens et les prix sur un marché en empêchant l’encombrement dans une saison et le vide dans une autre. Les marchands qui emmagasinent le blé dans les périodes d’abondance et de bas prix pour l’offrir à la consommation dans les époques de disette et de cherté sont dans le même cas et produisent le même effet : ils reportent le trop-plein d’une époque à une autre, pour en combler le déficit. Les marchands de blé, les spéculateurs sur le blé, ceux qu’on appelait autrefois accapareurs, sont des hommes utiles, peut-être faudrait-il dire les plus utiles des commerçans. C’est à leur intervention que nous devons d’être aujourd’hui débarrassés de toute inquiétude légitime sur nos approvisionnemens, et même de toute appréhension raisonnable sur l’intensité et la durée des crises de subsistances.

Le commerce ne se borne pas à opérer sur notre marché intérieur, il agit aussi sur tous les marchés de l’extérieur, achetant ici, vendant là, suivant les approvisionnemens et les prix. J’ai déjà