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cite des années où tous les oliviers de la Provence ont gelé. La vigne gèle aussi quelquefois ; elle a même des ennemis bien autrement redoutables que la gelée dans l’oïdium et le phylloxéra. Avec de pareils risques, il ne faut point songer à devenir fermier, c’est-à-dire entrepreneur de culture. Pour garantir au propriétaire le paiement régulier de la rente pendant toute la durée d’un bail, il faudrait plus de capitaux que pour acheter le sol. Quand un cultivateur, surmontant les difficultés inhérentes à ce milieu, a réuni quelques épargnes, il achète un peu de terre et ne songe point à les risquer dans une entreprise de culture ; s’il court les chances de mauvaises récoltes, il recueillera du moins le bénéfice des bonnes. Voilà la raison de la distance énorme qui s’observe entre le propriétaire et le cultivateur dans le midi. Les Romains n’y sont pour rien, car ils n’ont fait que subir, comme nous, l’action du milieu. Ce qui le prouve avec évidence, c’est que même dans le midi, où le colonage partiaire est la règle générale, le fermage s’y rencontre néanmoins, toutes les fois qu’une production animale un peu étendue donne de la sécurité au cultivateur et au propriétaire. C’est ainsi qu’on trouve de riches fermiers en Languedoc et dans les plaines arrosées de la Provence ou de la Basse-Lombardie.

IV.

C’est le commerce qui, en achetant le blé dans les lieux où il abonde pour le transporter et le revendre dans les lieux où il fait défaut, abrège la durée des crises de subsistances, en atténue les effets, contient les prix et proportionne partout avec une précision rigoureuse les approvisionnemens aux besoins de la consommation. Acheter au meilleur marché et revendre le plus cher possible, c’est tout le secret du commerce. Or il se trouve que c’est là une mission sociale de grande importance et qu’on pourrait qualifier justement d’ordre providentiel, puisque les opérations du commerce, dont l’intérêt personnel des commerçans est le puissant mobile, tournent en dernière analyse au bien général, et ne servent pas moins les intérêts de la consommation que ceux de l’agriculture.

En achetant dans le pays où la denrée abonde, le commerçant y fait monter les prix. En revendant ensuite sur un marché où la denrée est rare, et où les prix sont nécessairement élevés, il fait la baisse. Chacune de ces deux opérations est utile : l’achat en désencombrant un marché trop plein et en relevant des prix trop faibles, — la revente, en approvisionnant un marché trop dégarni et en abaissant des prix trop forts. Les prix extrêmes de l’abondance et de la disette se sont ainsi rapprochés, et la provision disponible de subsistances s’est mieux répartie. Entre deux marchés