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public hésite : il attend de savoir quelle est cette stabilité qu’on lui promet, si c’est là un gouvernement créé pour durer ou si ce n’est encore qu’une forme du provisoire destinée à faire patienter des espérances qui n’ont point abdiqué.

La question n’est nullement dans le pouvoir du maréchal de Mac-Mahon, institué par un vote et maintenant accepté par tous les partis modérés ; elle est dans le sens qu’on attache à ce pouvoir, dans le rôle qu’on prétend lui attribuer, dans la politique qu’on se propose de pratiquer à l’abri du nom de M. le président de la république, et ici c’est à la chambre, c’est au ministère qui représente la majorité parlementaire d’éclairer le pays, M. le duc de Broglie, dans une discussion récente à propos de l’état de siège, disait à l’assemblée : « Vous avez pris l’engagement de faire une œuvre sérieuse… Vous avez pris envers vous-mêmes l’engagement d’instituer un pouvoir qui soit une réalité vivante et non pas l’étiquette impuissante d’une autorité nominale. Vous avez pris envers l’homme que vous avez chargé de vous défendre l’engagement de le soutenir et de le protéger lui-même contre les atteintes infatigables des factions. » Fort bien, c’est tout un programme ou l’ébauche d’un programme ; mais quels sont les moyens qu’on tient en réserve pour faire « une œuvre sérieuse, » pour constituer un pouvoir qui soit « une réalité vivante, » pour protéger le gouvernement contre les factions ? Jusqu’ici, la politique du pouvoir nouveau ou, pour mieux dire, la politique ministérielle ne s’est manifestée que par un certain nombre de mesures législatives, déjà proposées ou annoncées, et par un certain nombre de nominations, particulièrement dans la diplomatie.

Il y a une loi sur les municipalités qui propose de rendre au gouvernement le droit de nommer les maires dans toutes les communes de la France. Chose étrange et qui devrait faire réfléchir tous les partis, il y a deux ans, au mois d’avril 1871, en pleine insurrection de Paris, M. Thiers était obligé de menacer l’assemblée de sa démission, si on ne lui laissait pas au moins le droit de nommer les maires des grandes villes, et encore ce droit devait-il être circonscrit dans les conseils municipaux. Les temps sont changés, aujourd’hui beaucoup de ceux-là mêmes qui ne rêvaient que décentralisation, qui disputaient à M, Thiers la modeste prérogative qu’il demandait, réclament pour le gouvernement le droit de nommer les maires partout, et on est trop facilement justifié par le singulier usage que font de leur indépendance certaines municipalités, qui se mettent à l’état permanent de révolte ou de refus de concours vis-à-vis de l’état. Ainsi voilà encore une expérience manquée, voilà une liberté compromise par les uns, désavouée par les autres ; le résultat est la loi actuelle, et ce qu’il y a de plus clair, c’est qu’avec ces abus de toute chose, ces contradictions et ces mobilités, on est exposé à