Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/967

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 décembre 1873.

La France a perdu depuis longtemps et elle n’a point encore retrouvé cet équilibre moral qu’on promet si souvent de lui rendre, qui ne peut naître que du sentiment de la durée des choses dans les conditions d’une existence régularisée et apaisée. Elle vit entre les crises politiques de la veille ou du lendemain et les émotions tragiques qui viennent l’assaillir dans les courtes trêves où elle se repose un instant. Elle ne peut faire un pas sans se heurter à tout ce qui lui rappelle les catastrophes militaires, nationales, qu’elle a essuyées, ou les incertitudes et les difficultés qui survivent aux grandes commotions. Trianon lui jette le dernier mot de ce drame judiciaire aux poignantes péripéties, au sombre dénoûment, qui lie désormais la condamnation d’un maréchal de France à la capitulation de Metz, à la perte de la Lorraine. Versailles lui renvoie l’écho de ce travail de tous les jours où s’agitent les passions, les préjugés, les prétentions de partis, les vanités et même les bonnes intentions, pour arriver à fonder un gouvernement qu’on craint de définir, des institutions auxquelles on hésite à donner un nom, une stabilité qu’on ébranle à mesure qu’on cherche à l’établir. Cependant la France, qui depuis trois ans a tout vu et tout supporté, la guerre et ses désastres, l’occupation étrangère et ses rigueurs, la paix et ses inexorables charges, les insurrections et leurs misérables suites, la France, qui n’a reculé et ne recule devant rien, se demande si on fait bien tout ce qu’on doit pour l’aider à porter son fardeau, si, à toutes les difficultés d’une situation déjà compliquée de tant de questions épineuses et inévitables, on n’ajoute pas le mal d’une incertitude qui pourrait être évitée. Oui, la France avec sa raison pratique, avec son instinct, en vient plus que jamais à se dire que le meilleur moyen de remettre un peu partout l’ordre, la sécurité, dont on parle toujours, c’est de se fixer, d’avoir une organisation régulière, des institutions à peu près définies, une politique sachant ce qu’elle veut et où elle va. On s’agite beaucoup à