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la citadelle nous firent beaucoup de mal. Plusieurs navires anglais et français n’étaient pas encore engagés ; pas un seul russe n’avait pénétré en rade et l’ébranlement de l’atmosphère mise en vibration par la canonnade commençait à produire son effet ordinaire. Le vent s’éteignait peu à peu dans la baie. Arrêté par le calme, l’Albion ne put arriver à son poste. Il laissa tomber l’ancre, non loin du Genoa, au milieu d’un paquet de navires ennemis. Il avait ainsi à combattre un vaisseau de soixante-quatorze et deux frégates de soixante.

Le Trident était le cinquième navire de la colonne du vent. Il fut le premier à essuyer l’attaque des forts. En mouillant vers deux heures quarante-cinq minutes au sud de la Sirène, il couvrit cette frégate des bordées de la citadelle et lui apporta, « par un feu extraordinaire et irrésistible, » contre les bâtimens dont elle était entourée, « l’assistance la plus complète. » Presqu’au même moment, le Scipion courait les plus grands dangers. Ce vaisseau avait, ainsi que le Trident, pris poste à l’entrée de la rade. Pendant qu’il répondait vigoureusement à l’artillerie de la citadelle et à celle de deux grandes frégates, un brûlot, manœuvré avec un admirable sang-froid, se jette sous son beaupré. En un instant, les focs ont pris feu. L’incendie serpente le long des étais, gagne le gréement du mât de misaine, s’introduit à travers les écubiers et les sabords jusque dans la batterie basse. Des canonniers sont atteints à leurs pièces par les flammes, d’autres sont déchirés par l’explosion des gargousses. On vient annoncer au commandant Milius que l’entrepont est menacé. « Faut-il noyer les poudres ? » — « Non, réplique l’intrépide capitaine ; il faut continuer le feu. Vive le roi ! » — Ce cri est répété jusque dans les dernières profondeurs du navire, et le tir, un instant suspendu, reprend avec plus de vivacité. On faisait cependant d’énergiques efforts pour se dégager du brûlot. La chaîne avait été filée, le brûlot accroché à la proue suivait encore le vaisseau en dérive. Dans ces terribles conjonctures, le capitaine Milius prit un parti extrême. Au risque de voir la flamme envahir la voilure, il donne l’ordre d’établir la misaine et le petit hunier. Le vaisseau abat, laisse à tribord le brick à demi consumé, et d’une seule bordée le fait couler à pic. Le Scipion va chercher alors sur la côte opposée de la baie, près de la pointe méridionale de Sphaktérie, un nouveau poste de bataille. Il y trouve les frégates l’Armide, le Talbot, le Glasgow et la Cambrian, qui, mouillées à peu près à la même hauteur que la Sirène, l’Asia, le Genoa et l’Albion, se sont heureusement interposées entre ce groupe si maltraité déjà et l’aile droite de l’armée ottomane ; mais ces quatre frégates ont affaire à forte partie. L’amiral anglais le comprend, et sa contenance, pendant qu’il se promène à grands pas sur le pont de l’Asia, trahit, malgré lui, son inquiétude croissante. À trois heures enfin, l’escadre russe