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mouiller par le travers des premiers navires, qui formaient ainsi l’aile gauche du triple croissant. Ces navires étaient des frégates égyptiennes, et on les croyait encore commandés par des officiers français. L’amiral Codrington placerait l’Asia bord à bord d’un vaisseau de ligne portant le pavillon amiral au grand mât. Le Genoa et l’Albion combleraient l’intervalle laissé vacant entre l’Asia et la frégate la Sirène. Le contre-amiral Heïden et son escadre jetteraient l’ancre au milieu de la baie, de manière à faire face au centre du croissant. Les frégates françaises, anglaises et russes, rangées dans la partie occidentale du port, couvriraient les vaisseaux des feux croisés qui pourraient leur venir de l’aile droite et des batteries de Sphaktérie. Les corvettes et les bricks, sous les ordres du capitaine Fellowes du Dartmouth, auraient pour mission spéciale de contenir les brûlots mouillés aux deux extrémités de la ligne ennemie et de les maintenir dans une position telle qu’on ne pût s’en servir pour inquiéter la flotte combinée.

À une heure trente-cinq minutes, l’amiral anglais, s’avançant lentement sous ses huniers hauts et ses perroquets amenés, dépassait les forts et les batteries qui défendaient alors sur l’une et l’autre rive l’étroit accès de la rade. Les forts sont restés muets. Une poupe élevée et toute chargée de dorures, un drapeau cramoisi flottant au grand mât, désignent à Codrington le vaisseau de Tahir-Pacha. Non loin de ce vaisseau, la frégate de Moharem-Bey déploie l’étendard vert avec croissant et étoiles, marque distinctive du commandant en chef des forces égyptiennes. L’Asia se dirige de ce côté. Le vaisseau anglais laisse tomber sa première ancre par le travers de Moharem-Bey ; continuant à courir sur son erre, il en mouille une seconde sous le bossoir de Tahir-Pacha. Codrington se trouve ainsi affourché, avec une embossure sur chaque ancre, entre les deux bâtimens amiraux. Le Genoa suivait à une demi-encablure ; il prend poste en arrière de l’Asia, et présente sa bordée de tribord à une frégate turque. Tout restait calme encore. On n’entendait d’autre bruit que celui causé par la chute d’une ancre ou par le frottement des câbles glissant sur l’écubier. L’Albion avait reçu l’ordre de mouiller en avant de l’Asia ; il poursuivait lentement sa route vers le fond de la baie ; le Darmouth s’arrêtait en tête de rade avec la Philomèle. Arrivée à la hauteur de la citadelle, la Sirène se détachait de la ligne et cherchait avec une dextérité peu commune une ouverture dans le premier groupe ennemi pour venir s’établir menaçante entre trois frégates égyptiennes. Il était difficile qu’un pareil début n’amenât bientôt un conflit. Une certaine agitation se produisait déjà dans la ligne ottomane. Les vaisseaux et les frégates raidissaient leurs embossures ; les brûlots semblaient prêts à entrer en action. En ce moment critique, le commandant du Dartmouth,