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ont passés. Une organisation judiciaire nouvelle se prépare qui va saper la base sur laquelle s’élèvent les cours souveraines. La réforme de Maupeou introduisait déjà un système plus régulier et plus uniforme ; si elle échoua, c’est qu’elle fut inspirée plus par des vues politiques que par un sincère désir du progrès ; elle apparut comme une témérité du despotisme aux abois. L’opposition que souleva cette mesure violemment exécutée eut pour elle les railleurs, et dans un pays où l’opinion n’approfondit rien, et prête plus volontiers l’oreille aux sarcasmes des gens d’esprit qu’aux avis des gens de bon sens, avoir les rieurs contre soi était encore plus dangereux que de s’attirer le ressentiment des parlementaires. Quelques années après, la réforme était reprise avec plus de maturité et dans d’autres conditions. On jeta les fondemens de l’organisation judiciaire qui devait être l’un des meilleurs fruits de la grande révolution. Les jours des parlemens étaient donc comptés dès avant 1789. Le gouvernement sentait la nécessité de mettre fin à ces remontrances souvent aussi mal fondées qu’intempestives, à ces refus d’enregistrement qui paralysaient toute amélioration. Les parlemens auraient été forcément ramenés à n’être plus que des cours d’appel, et cela aurait eu pour conséquence l’établissement d’une hiérarchie judiciaire et l’assujettissement de tous les citoyens à une commune loi.

Loménie de Brienne fit accepter à Louis XVI en mai 1788 cinq édits qui réformaient la justice et tendaient à annuler la puissance politique des parlemens. Le premier établissait quarante-sept grands bailliages qui devaient juger en dernier ressort jusqu’à 20,000 livres, et des présidiaux ayant pareil pouvoir jusqu’à 4,000 livres. Le second supprimait les tribunaux d’exception (bureaux des finances, juridictions des traites, maîtrises des eaux et forêts, etc. ), moyennant remboursement de la finance. Le troisième réduisait le nombre des offices de la magistrature. Une cour plénière unique pour toute la France était substituée comme juridiction suprême au parlement par le cinquième de ces édits, et c’était à cette cour que devait être porté l’enregistrement des ordonnances. Certes le moment était difficile pour imposer une réorganisation si complète ; il aurait fallu plus de prudence que n’en montra l’archevêque de Toulouse au lit de justice du 8 mai. C’était renouveler le coup d’état Maupeou, et l’opposition était devenue encore plus redoutable ; la noblesse se joignait au parlement. Le prélat ministre perdit la tête : il s’était trop avancé ; il recula et abandonna une partie de son œuvre. Au lieu de continuer d’une main ferme la réforme, tout en s’appuyant sur l’opinion, il fit un appel désespéré aux états-généraux qui devaient amener la catastrophe. Si le plan de Loménie de Brienne