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troubler la paix de l’Europe. On s’inquiète fort peu du salut de la Grèce. »

Ces soupçons étaient assurément injustes, ils le devenaient davantage encore lorsqu’ils s’adressaient à la France. Ainsi que le faisait remarquer avec infiniment de raison M. de Chabrol, il ne pouvait plus y avoir à Paris de direction politique ni de direction militaire. Tout était subordonné à des événemens « qui se passaient trop loin pour que les gouvernemens pussent y conformer leurs avis. » Le ministre cependant prenait soin d’insérer dans la lettre tout intime qu’il écrivait vers cette époque au commandant de nos forces navales quelques indications générales dont ce dernier pouvait tirer grand profit. « Vous ne devez pas en être, lui disait-il, à vous apercevoir que la Russie et nous sommes les seuls qui marchions franchement à un but avoué. L’Angleterre est un peu moins décidée que nous, et l’attitude de l’Autriche est plus que douteuse. » L’honnête amiral Codrington, — j’éprouve un véritable plaisir à le constater, — ne jugeait pas autrement les dispositions respectives des puissances. « La sincérité française, écrivait-il à Zaïmis, à Tricoupi, à Mavrocordato, ne saurait être mise en doute, car c’est la France qui a réduit de trente jours à quinze le temps accordé à la Porte pour formuler sa réponse. »

Le refus positif de la Porte d’accéder à aucun arrangement fut communiqué à l’amiral Codrington et à l’amiral de Rigny par les ambassadeurs d’Angleterre et de France dans la première quinzaine de septembre ; cette communication ne suffit pas toutefois pour dissiper complètement leurs scrupules. À la veille de prendre un parti décisif, ces hommes d’action, qu’on devait accuser un jour d’avoir engagé à la légère la politique de leur pays, se montrèrent plus hésitans et plus circonspects que les cabinets dont ils n’avaient pourtant qu’à faire respecter les volontés telles qu’ils les trouvaient consignées dans un traité solennel. « Sans doute, mandait l’amiral de Rigny au ministre, le moment est venu de donner suite à nos instructions. Je ne le méconnais pas. Cependant, monseigneur, l’escadre russe n’a point encore paru. Nous ne la savons même pas arrivée dans la Méditerranée. Ne faut-il pas prévoir le cas où les Russes n’accepteraient point la responsabilité de démarches tranchantes faites sans leur coopération ? Jusqu’ici, M. le comte de Guilleminot ne m’a rien dit des précautions à prendre pour lui-même, ainsi que pour tous les gages que nous laissons entre les mains des Turcs, et qu’un premier coup de canon va sérieusement compromettre. » Ainsi, après avoir blâmé, gourmande, harcelé pendant des années entières la politique de temporisation, l’intrépide amiral en venait presqu’a exprimer le regret qu’on y eût si brusquement renoncé. Il