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armera le double avec plus de facilité. Nous aurons plus d’hommes formés, et nous posséderons les cadres de trente-six équipages. »

Cette perspective pouvait sourire à bon droit au ministre. Elle ne diminuait pas les embarras du chef exposé à entrer en action avec des bâtimens qu’il n’hésitait pas à déclarer « incapables de suivre les mouvemens des deux autres escadres. » Pendant que le Scipion, le Breslau, le Trident, la Provence, réunis sur la rade de Paros autour de la Sirène, y réparaient leur gréement, y complétaient leur eau et leurs vivres, l’amiral Codrington, renforcé de L’Albion et du Genoa, interrogeait avec anxiété sir Stratford Canning sur la nature et sur la portée de sa mission. Entré dans la marine en 1783, sir Edward Codrington n’avait pas été préparé par les incidens de sa carrière aux délicates questions qu’on lui donnait inopinément à résoudre. Ce n’était pas en servant dans la flotte de la Manche sous lord Howe, en combattant près de l’île de Groix avec lord Bridport, en commandant l’Orion à Trafalgar, le Blake dans l’expédition de l’Escaut, à Cadix et sur les côtes de Catalogne, qu’il avait pu apprendre « comment il s’y prendrait, — ce sont ses propres expressions, — pour empêcher les Turcs de poursuivre la ligne de conduite à laquelle il devait s’opposer sans commettre d’hostilités à leur égard. » — « Sans doute, écrivait-il à l’ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, on entend par là un blocus ; mais, si les Turcs essaient de le forcer, n’est-ce pas à coups de canon que la tentative devra être réprimée ? » Sir Stratford appartenait à une école diplomatique dont l’audace tendait à renouer les traditions des Pitt et des Chatham. Il ne crut pas nécessaire d’envelopper sa réponse d’un nuage trop opaque ; il faut remarquer cependant qu’à la date où s’échangeaient ces communications on n’avait pas encore appris à Constantinople la mort de George Canning. La politique anglaise devait montrer moins de raideur et d’aplomb quand l’inspiration du grand ministre, décédé le 8 août 1827, cessa de la soutenir et de planer sur tous ses actes. « Dans mon opinion, écrivait sir Stratford quelques jours avant de recevoir l’annonce de ce douloureux événement, tout dommage infligé à la flotte d’Ibrahim, tout danger imminent auquel l’exposerait son obstination, seraient plutôt de nature à faire fléchir la détermination du vice-roi qu’à la confirmer. Le moment décisif sera celui où les événemens se chargeront d’apprendre pour la première fois au pacha que nous sommes résolus à exiger par la force, s’il nous y contraint, l’armistice qui lui a été signifié. Cette suspension d’armes doit être obtenue de son consentement ou sans son aveu, car le traité de Londres n’a point d’autre objet. Vous n’avez pas sans doute à prendre parti pour l’un ou pour l’autre des belligérans ; mais vous devez interposer vos