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Ces considérations font comprendre contre quelle armée de privilégiés la couronne aurait eu à lutter pour imposer le droit commun à ceux qui prétendaient n’en point relever ou qui étaient parvenus à s’y soustraire. On se trouvait ici en présence de difficultés du même ordre que pour l’abolition des droits féodaux. Ces privilèges attachés à tant d’offices, c’était surtout en vue de les obtenir qu’on avait consenti à payer si cher, comme c’était dans la pensée d’acquérir la jouissance des droits féodaux qu’on avait souvent donné pour telle terre un si haut prix. Toucher aux privilèges des magistrats, des officiers royaux, c’était donc en quelque sorte attenter à la propriété. Et le gouvernement ayant lui-même créé les charges en quantité innombrable et promis d’y attacher les immunités et prérogatives qui en rehaussaient la valeur, il se trouvait bien plus empêché que pour l’abolition des droits féodaux. Il ne pouvait songer au remboursement général des offices. Restait un moyen : c’était d’amener par une voie détournée tous les citoyens à supporter sans distinction de caste et de rang, d’emploi et de profession, et proportionnellement à leur fortune, le poids de l’impôt. Cette nécessité se présentait déjà au milieu du XVIIIe siècle. Domat, cent ans auparavant, démontrait l’équité de la mesure. Machault songea sous Louis XV à l’appliquer. L’établissement de la capitation en 1695 avait été un commencement d’exécution de ce nouveau principe ; toutefois les nobles, les magistrats et les autres fonctionnaires privilégiés, bien qu’astreints à la payer, avaient obtenu de ne point subir le niveau commun. Ils l’acquittaient sur un rôle et d’après un tarif différent de celui des roturiers. On n’en agit pas ainsi pour l’impôt du vingtième : magistrats et vilains le payèrent sur le même pied. La voie était tracée ; il n’y avait qu’à substituer graduellement aux anciens impôts, pour lesquels les exemptions, stipulées auraient été respectées, des impôts nouveaux atteignant tous les citoyens indistinctement. De cette façon, le privilège se serait réduit à un avantage de plus en plus insignifiant qu’il eût été ensuite facile de supprimer.

Le progrès vers l’égalité ne pouvait être tout à fait assuré que par l’établissement dans tout le royaume d’une législation uniforme, et à la fin de l’ancienne monarchie on s’avançait à grands pas vers ce but. A mesure qu’on descend le cours du XVIIIe siècle, on voit en effet s’accroître le nombre des arrêts du conseil et des déclarations du roi, qui appliquent les mêmes règles de la même manière. La prédominance du conseil d’état sur toutes les juridictions conduisait infailliblement à l’unité. Les parlemens luttent alors en vain pour perpétuer la diversité des législations provinciales et maintenir la multiplicité des coutumes qu’ils respectent comme autant de contrats par lesquels sont liés les héritiers de ceux qui les