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ruption électorale ne fut pas suivie. Il tint une place honorable à la chambre des communes pendant trois sessions; il y jouait un peu ce rôle de moraliste politique qui déplaît toujours aux assemblées. Attaché au parti libéral, il y demeurait solitaire; on l’écoutait avec déférence, mais ce respect ressemblait un peu à celui qu’on montre aux étrangers. Il n’était jamais au cœur de la politique quotidienne et des questions pressantes, il se tenait dans une région trop éloignée, trop froide; il manquait de bonne humeur, il récitait ses discours comme des leçons. Il n’y avait même pas chez lui cet excès d’audace qui plaît à force d’étonner : ses idées, depuis longtemps popularisées par ses livres, étaient comme diffuses dans tous les rangs de la chambre ; les chefs des conservateurs comme ceux des libéraux avaient tiré profit de ce qu’il avait écrit sur l’Irlande, sur le gouvernement colonial, sur le gouvernement municipal, ils s’étaient assimilé tout ce qui pouvait être pratique, utile, possible. Les opinions de Mill n’étaient donc pas à l’état de combat, on le regardait plutôt comme un professeur, comme un guide qu’il faut suivre d’un peu loin. Il semble que ce respect lointain et cette admiration économe aient fini par l’irriter; ils le poussèrent à des sortes de saillies et d’entreprises trop hardies pour la chambre et pour ses électeurs. Sa popularité avait été très grande un moment, car il raconte dans ses mémoires que ce fut lui qui empêcha les ouvriers de Londres de se réunir de nouveau dans le parc où ils étaient une fois entrés de force et où la police avait reçu l’ordre d’empêcher toute réunion publique. « Je fus invité avec plusieurs autres députés radicaux à une conférence avec les membres principaux de la ligue de la réforme, et on me chargea de les persuader d’abandonner le projet de Hyde-Park et de tenir leur réunion ailleurs. M. Beales et le colonel Dickson (deux chefs de la ligue) n’avaient pas besoin d’être persuadés; au contraire il était évident que ces messieurs avaient déjà essayé leur influence dans ce sens, mais sans succès. C’étaient les ouvriers qui tenaient bon, et ils s’obstinaient tellement à leur idée première que je fus forcé d’avoir recours aux grands moyens. Je leur dis qu’une détermination qui amènerait certainement une collision avec l’armée ne pouvait se justifier qu’à deux conditions : si l’état des affaires était tel qu’une révolution fût désirable et s’ils se croyaient capables de l’accomplir. Après une longue discussion, ils cédèrent enfin à cet argument, et je pus informer M. Walpole (le ministre de l’intérieur) qu’ils avaient déjà renoncé à leur projet. »

En 1867, M. Mill traita la question irlandaise dans un pamphlet, l’Irlande et l’Angleterre. Il déplut aux Anglais sans satisfaire les fenians. Il ne voulait pas rompre les liens politiques entre l’Angleterre et l’ile sœur, et croyait leur union nécessaire; son remède