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d’exaltation politique ? Chez nos voisins, n’a-t-on pas vu les vestiges de la féodalité s’effacer graduellement par l’action continue du progrès des idées et des mœurs ?

Les juridictions fiscales, les cours de justice ou, pour mieux dire, les privilèges dont jouissaient leurs membres étaient, au dernier siècle, un obstacle plus malaisé à surmonter. L’extension de la vénalité des offices avait multiplié les immunités. Ce n’étaient pas seulement les gentilshommes d’ancienne ou de fraîche date, les roturiers possesseurs de terres seigneuriales, qui formaient la classe des privilégiés ; il faut y comprendre l’ensemble des possesseurs d’offices de quelque importance. Afin d’encourager les bourgeois à acheter les charges créées en si grand nombre, et dont le prix était parfois fort élevé, le gouvernement y avait attaché des prérogatives qui faisaient de ces charges une véritable noblesse. Les cours de justice, jalouses des gens de qualité, avaient même souvent réclamé pour leurs membres les titres et les privilèges de l’ancienne aristocratie féodale ; elles s’étaient ainsi mises en dehors de la masse des citoyens. Les hautes juridictions fiscales n’entendaient pas que ceux qui les composaient fussent astreints à payer les impôts dont ils avaient l’administration, et jugés par d’autres tribunaux que la juridiction même qu’ils constituaient. Les magistrats tenaient de leur office le droit de n’être pas soumis aux servitudes féodales qui pesaient sur tant de roturiers. De la sorte, une foule de fonctionnaires se trouvaient exempts des tailles, des aides, des gabelles, des dîmes, des droits de franc-fief, de l’obligation du guet, des logemens militaires et de cent autres charges incombant aux vilains. Un impôt nouveau venait-il à atteindre les privilégiés, ceux-ci obtenaient au moins de ne point l’acquitter comme le faisait le commun. Les cours de justice opéraient pour leurs membres la répartition. Les nobles et les magistrats étaient inscrits sur des rôles établis d’après des règles différentes de celles qu’on appliquait au menu peuple, et s’arrangeaient pour payer proportionnellement moins. Il s’ensuivait qu’à mesure que le nombre des offices allait en augmentant, le chiffre des privilégiés grossissait. La concession des avantages ordinairement attachés aux offices ne suffisait-elle pas pour achalander les créations nouvelles, on recourait à quelque exemption spéciale. Ainsi l’arrêt du conseil du 14 mai 1721 ordonna que ceux qui lèveraient pendant le cours de l’année plusieurs de ces offices vacans pour lesquels le public montrait peu d’empressement en jouiraient à titre de survivance, et ne paieraient que la moitié des droits de marc d’or, d’enregistrement et autres. On ne s’était pas borné là ; la noblesse personnelle attribuée aux membres des principales cours devenait héréditaire dans les parlemens, le