Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/893

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour défrayer à elle seule les dépenses d’une femme et d’un enfant. Alors elle essaya du théâtre, et son échec fut complet; peut-être ne savait-elle pas exprimer les passions au gré du public de Sacramento; à coup sûr sa beauté, fascinatrice de près, n’était pas assez accentuée pour le feu de la rampe. Dans ce dilemme, elle découvrit par bonheur qu’elle avait une voix dont elle pouvait tirer parti, un contralto de médiocre étendue et fort peu cultivé, mais singulièrement touchant; elle entra dans les chœurs de l’église. Pendant trois mois, elle chanta les louanges du Seigneur avec des profits considérables et pour le plus grand plaisir des fidèles de l’autre sexe, qui de leurs bancs pouvaient l’observer. Je me la rappelle parfaitement à cette époque. La lumière qui filtrait à travers une ogive du chœur de Saint-Dive caressait tendrement les masses amoncelées de ses cheveux fauves, l’arc de ses noirs sourcils et les franges soyeuses qui abritaient ses yeux. C’était charmant de voir cette petite bouche s’ouvrir et se refermer en révélant pour le dérober aussitôt un écrin de petites perles, et de guetter la rougeur folle qui teignait fugitive le fin tissu de ses joues, car Mme Tretherick était sensible à l’admiration; comme la plupart des jolies femmes, elle se rassemblait sous votre regard telle qu’un cheval de course sous l’éperon. Puis, bien entendu, vint le tour des ennuis. J’ai su par le soprano, une petite personne qui renchérissait encore sur l’impartialité naturelle à son sexe, que la conduite de Mme Tretherick était tout simplement révoltante, sa vanité intolérable, que ses coquetteries avec la basse le jour de Pâques avaient scandalisé toute la congrégation, au point que le docteur Cope avait deux fois levé les yeux durant le service, — que, quant à elle, ses amis l’avaient exhortée à ne pas chanter au chœur avec une personne qui avait été sur les planches, — que l’on savait de source certaine que cette créature s’était enfuie de chez son mari, et que l’enfant à cheveux rouges qui l’accompagnait quelquefois n’était pas le sien. Le ténor, qui était dans la semaine commis d’un magasin de nouveautés bien achalandé, avait de bonnes raisons pour appuyer les médisances du soprano. La basse seule, un gros Allemand à voix lourde, osait dire que les autres étaient jaloux de Mme Tretherick parce qu’elle était chôlie. On en vint à la querelle ouverte, et en cette circonstance Mme Tretherick fit de sa langue si bon usage que le soprano eut une attaque de nerfs et fut emporté hors du chœur par son mari et le ténor. Mme Tretherick rentra chez elle surexcitée par son triomphe; mais en revoyant Carrie elle se mit à fondre en larmes de repentir, s’accusant de lui avoir enlevé le pain de la bouche, elle, sa mère! — Sur ces entrefaites, la servante annonça l’un des membres de la fabrique qui faisait partie du