Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/882

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

çonner la présence d’aucun autre habitant. Le champ était libre, comme l’avait dit le colonel.

Mme Tretherick s’arrêta devant la porte; le colonel aurait voulu la suivre, elle le lui défendit d’un geste. — Venez me chercher dans deux heures; tout sera emballé, dit-elle en lui tendant la main. — Le colonel saisit cette main blanche et la pressa entre les siennes. Peut-être lui rendit-on légèrement cette étreinte, car il s’éloigna d’un pas aussi vainqueur que le permettaient les hauts talons de ses bottes trop justes.

Quand il fut parti, Mme Tretherick ouvrit la porte, prêta l’oreille, puis monta lestement l’escalier qui conduisait à ce qui avait été sa chambre. Tout était dans le même état que le soir de sa fuite. Sur la toilette restait encore le carton qu’elle se rappelait y avoir laissé après avoir pris son chapeau, sur la cheminée un gant oublié dans la précipitation du départ. Les deux tiroirs inférieurs de la commode étaient entr’ouverts, — elle n’avait pas songé à les fermer, — et au-dessus gisait son épingle à châle, une manchette chiffonnée. Quels souvenirs lui revinrent en ce moment? Je l’ignore, mais elle pâlit, et, la main sur la porte, écouta encore une fois, le cœur palpitant; puis elle s’approcha du miroir, et, avec un mélange de crainte et de curiosité, écarta les tresses de ses cheveux autour de sa petite oreille rose jusqu’à ce qu’elle eût mis à découvert une blessure à peine fermée. La regardant longtemps, elle releva fièrement la tête, et le faux regard de ses yeux de velours s’accentua d’une manière presque farouche; puis, avec un éclat de rire insouciant et résolu, elle se détourna, courut au cabinet où étaient accrochées ses robes et inspecta ces dernières. En voyant que la robe qu’elle préférait manquait à sa place habituelle, la jeune femme crut s’évanouir, puis, la retrouvant une minute après sur une malle où elle l’avait jetée, elle éprouva pour la première fois une sincère reconnaissance envers l’être suprême, qui protège les abandonnés. Il arriva même que, toute pressée qu’elle fût par l’heure, Mme Tretherick ne put résister à l’envie d’essayer l’effet de certain ruban lavande. Soudain elle entendit une voix d’enfant tout près d’elle et s’arrêta. La petite voix répéta : — Est-ce maman?

Mme Tretherick fit volte-face. Devant la porte se tenait une petite fille de six à sept ans; sa robe avait été naguère élégante, mais maintenant elle était déchirée, couverte de taches, et ses cheveux d’un rouge violent lui faisaient dans leur désordre une coiffure comique. Tel quel, c’était un petit être pittoresque, dont la sauvagerie laissait percer cette confiance en soi que prennent volontiers les enfans trop livrés à eux-mêmes. Elle tenait sous son bras une poupée de chiffons presque aussi grande qu’elle et qu’apparemment elle