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chez le gouverneur, en grande toilette, couvertes d’anneaux et de bracelets, et ont promis avec joie de corriger d’importance leurs maris, s’il leur arrivait de faiblir. Un autre détail curieux, c’est que le train de l’armée d’expédition est en grande partie formé par des femmes qui marchent lestement au son du tambour en portant sur leurs têtes de lourdes caisses de munitions, et au côté, dans des sacs, leurs nourrissons, qu’elles allaitent sans interrompre leur marche. On a commencé la construction d’une route commode et large qui permettra le transport des canons dans la direction de Coumassie. On avait même songé un instant à construire un bout de voie ferrée, et du matériel avait été déjà expédié de Woolwich dans cette intention; mais il paraît que le terrain ne se prête pas à ces sortes de constructions, et on a fini par y renoncer.

En terminant, nous dirons qu’il est plus que certain qu’il entre dans les plans de sir Garnet de s’emparer de Coumassie, mais non pas de détruire cette capitale : ce serait une cruauté inutile, car la position est sans importance au point de vue militaire, et puis une ville africaine peut être rebâtie en si peu de temps ! Les Anglais doivent avoir seulement à cœur de prouver aux Achantis, comme ils l’ont prouvé du reste aux Abyssins de Théodoros, que l’Angleterre peut aller frapper ceux qui la bravent jusque dans des régions réputées inaccessibles. Nous devons évidemment désirer le triomphe de la civilisation sur la barbarie, tout en souhaitant que nos puissans voisins n’emploient pas contre les noirs, qui en somme défendent un sol qu’il leur est permis de croire à eux, les moyens de dure répression appliqués aux cipayes de l’Inde ou aux nègres révoltés de la Jamaïque. Les Anglais ne peuvent oublier que c’est de cette côte sinistre de Guinée que des millions d’Africains sont partis pour aller blanchir de leurs ossemens les champs de canne à sucre d’avides planteurs, et que, si l’Européen est vu avec horreur dans tous ces parages, c’est parce qu’il ne s’y est présenté trop souvent que sous les traits d’un odieux négrier. L’expédition actuelle aura peut-être pour résultat de convaincre les indigènes de la côte que leurs féroces oppresseurs ne sont pas de force à jeter les Anglais à la mer; ils comprendront dès lors de quel côté sont leurs véritables intérêts, et ils accepteront enfin franchement le protectorat britannique.


EDMOND PLANCHUT.