Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/850

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raidissent les bras, font étinceler l’œil[1], égarent l’esprit et le portent à des actes souvent criminels, l’âme éprouve une sorte de jouissance, mais celle-ci n’est pas de longue durée, et l’excitation passagère des forces est suivie d’une dépression profonde dont les effets, s’ils se reproduisent souvent, ne diffèrent pas de ceux du ressentiment concentré ou de la haine contenue. L’homme qui est porté à la colère est voué à une prompte altération des organes, quand il ne meurt pas dans un accès de fureur.

La mort survenue dans de telles conditions est assez fréquente, Sylla, Valentinien, Nerva, Venceslas, Isabeau de Bavière, moururent à la suite d’accès de colère. Les annales de la médecine contemporaine renferment beaucoup d’observations d’accidens mortels, suites de violens ébranlemens du cerveau produits par la même passion. Ces accidens sont ordinairement des congestions pulmonaires et cérébrales; mais ces terminaisons sont exceptionnelles, et généralement les passions haineuses et irascibles détériorent la constitution d’une manière qui, pour être lente, n’en est pas moins sûre.

Quel est donc l’enchaînement des phénomènes morbides dont l’amour malheureux, l’ambition déçue, la haine ou la colère sont l’origine, et qui se terminent soit par de graves maladies chroniques, soit par la mort ou le suicide? Tout semble commencer par une altération des centres cérébro-rachidiens. L’excitation continuelle de ceux-ci par l’émotion toujours présente détermine une paralysie de la substance nerveuse centrale et compromet ainsi l’intégrité des connexions de cette substance avec les nerfs qui se rendent aux divers organes. Ces nerfs se dégradent alors, s’altèrent peu à peu, et les grandes fonctions ne tardent pas à être compromises. Le cœur et les poumons cessent d’agir selon le rhythme normal, la circulation devient irrégulière et languissante. L’appétit disparaît, la quantité d’acide carbonique exhalé diminue, et les che-

  1. Dans ses belles études sur l’expression des émotions, M. Darwin a signalé un caractère de l’effroi, de la fureur et de la colère qui manque chez l’homme et qui paraît général chez les animaux. C’est le redressement, le hérissement des poils ou des plumes. Ce phénomène, analogue à celui qui chez nous détermine la chair de poule, ne se produit pas seulement sous l’influence des mouvemens passionnels; peut avoir aussi pour cause le refroidissement. M. Darwin explique cette horripilation par une influence du système nerveux sur les arrectores pili, petits muscles nerveux que M. Kölliker a découverts récemment autour des follicules d’où émanent les poils et les plumes. C’est l’excitation de ces petits muscles, dont le nombre est très considérable à la surface du corps et dont les mouvemens ne dépendent pas de la volonté, qui déterminerait par contraction réflexe le redressement dont il s’agit ici, et qui est chez les animaux un des indices les plus caractéristiques de l’effroi, de la fureur et de la colère.