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Il semble impossible de soumettre à l’analyse physiologique des apparences aussi complexes, variées et mobiles. Cependant un habile expérimentateur est parvenu récemment à démêler en partie ce chaos et à établir d’une façon précise les mécanismes musculaires de la physionomie humaine dans ses rapports avec les diverses passions. S’étant préalablement assuré par de fines dissections du mode de répartition et de l’indépendance des muscles nombreux qui sont entre la peau et les os de la face, ayant reconnu comment les filets nerveux de la septième paire s’y distribuent et les animent, M. Duchenne de Boulogne a déterminé, soit au moyen du courant électrique, soit avec divers excitans, la contraction de chacun de ces petits muscles en particulier. D’autre part, l’observation de ces expériences toutes faites qu’on appelle des maladies lui a montré ce qui arrive lorsque certains muscles se contractent à l’exclusion de certains autres. Il a reconnu ainsi de la manière la plus nette que la contraction de chaque muscle du visage détermine une certaine expression invariable, c’est-à-dire que chaque passion paraît avoir à son service un muscle de la face dont la contraction a lieu sitôt que l’âme ressent cette passion. — Voici comment s’exprime M. Duchenne à propos du muscle de la souffrance. « Dès le début de mes recherches, j’avais remarqué que le mouvement partiel de l’un des muscles moteurs du sourcil produisait toujours une expression complète sur la face humaine. Il est par exemple un muscle qui représente la souffrance, le sourciller[1]. Eh bien! sitôt que j’en provoquais la contraction électrique, non-seulement le sourcil prenait la forme qui caractérise cette expression de souffrance, mais les autres parties ou traits du visage, principalement la bouche et la ligne naso-labiale, semblaient également subir une modification profonde pour s’harmoniser avec le sourcil et peindre, comme lui, cet état pénible de l’âme. » D’autres muscles en effet semblent participer, en même temps que le sourciller, à l’expression de la souffrance. M. Duchenne croit être autorisé par ses expériences à soutenir néanmoins que la région musculaire de la face, directement modifiée par une passion simple, est très circonscrite. Seulement cette région modifiée agit, par une sorte de synergie, sur les régions voisines, exactement comme une couleur modifie la teinte des couleurs qui l’entourent; et de même qu’il se produit dans ce dernier cas une illusion d’optique, résultant de ce que M. Chevreul a appelé le contraste simultané des couleurs, il se produit, dans le cas des mouvemens musculaires de la face, une

  1. Le sourcilier est cette languette charnue placée sous l’orbiculaire des paupières et recouvrant le tiers interne de l’arcade sourcilière.