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irascunt, jecore amant, pulmone jactantur, on rit par la rate, on s’irrite par le fiel, on aime par le cœur, on s’émeut par le poumon. La physiologie des passions, telle que les auteurs de l’antiquité pouvaient la faire et la firent, est, au point de vue descriptif, d’une telle exactitude qu’on n’y a presque rien ajouté. Toutefois ils avaient méconnu le siège réel de ces états de l’âme, et c’est Descartes qui le premier, dans son livre célèbre des Passions, déclara que ce siège est dans le cerveau. Il localisa dans ce viscère tous les états passionnels. « L’âme, dit Descartes, ne peut souffrir immédiatement que par le cerveau, » et ailleurs : « L’esprit ne reçoit pas l’impression de toutes les parties du corps, mais seulement du cerveau. » Cette vérité, qui nous paraît aujourd’hui élémentaire, n’a été cependant démontrée que par la physiologie la plus récente. Le plus grand théoricien physiologique des passions, Bichat, ne l’admettait point, ainsi qu’on va en juger par l’exposition de sa doctrine.

Le premier caractère physiologique que Bichat reconnaît dans les passions, c’est l’intermittence. Tandis que les pensées peuvent se continuer, se prolonger longtemps, tandis que l’habitude des mêmes réflexions et des mêmes jugemens les fortifie et les perfectionne, les passions ne durent point. En dehors du plaisir et de la peine qu’on pourrait appeler absolus, et qui dépendent d’une excitation nerveuse directe, il est permis de dire que l’habitude des mêmes sentimens ne tarde pas à les émousser et à les affaiblir. Une sensation agréable ou pénible qui se prolonge finit par ne plus procurer ni plaisir, ni peine. Le parfumeur, placé constamment dans une atmosphère odorante, ne jouit plus des odeurs. Tout ce qui séduit la vue ou charme l’oreille nous devient indifférent, si nous en recevons trop longtemps l’impression. Il en est de même des sensations désagréables. « Le bonheur, dit Bichat, n’est donc que dans l’inconstance. Le plaisir n’est qu’un sentiment de comparaison qui cesse d’exister là où l’uniformité survient entre les sensations actuelles et les sensations passées. Si la figure de toutes les femmes était jetée au même moule, ce moule serait le tombeau de l’amour. »

Cette différence profonde entre les pensées et les passions, Bichat l’explique en admettant que les premières dépendent de cette moitié de nous-mêmes qu’il appelle la vie animale, tandis que les autres procèdent de la vie organique. Tout ce qui concerne les opérations intellectuelles proprement dites a son siège dans le cerveau, centre des actes de la vie animale. Tout ce qui concerne les états passionnels a son siège dans les viscères. L’effet de toute espèce de passion est de faire naître un changement, une altération quelconque dans la vie organique, c’est-à-dire dans les organes de la circulation, de la respiration et de la nutrition. Cette différence fondamentale de