Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/830

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puisqu’on aura pu suivre, au milieu même de ses années de dissipation, la trace persistante des qualités qui l’ont faite plus tard, elle aussi, forte devant le martyre.

Quant à Marie-Thérèse, elle expirait le 29 novembre 1780, à temps pour ne pas être témoin de sinistres éclats tels que le procès du collier. Nous pouvons calculer par certains signes quels sentimens d’humiliation et comme de terreur ces attaques audacieuses lui eussent inspirés : il n’y a qu’à voir ses lettres à Mercy sur la trop fameuse affaire de Beaumarchais, qui la fit trembler comme un affreux présage. En présence d’insultes telles que le pamphlet ignoble contre Louis XVI et Marie-Antoinette dont elle le croit l’auteur, suffoquée de colère, avec des accens de lionne blessée, elle joint aux fiers dédains de la souveraine les douloureuses prévisions de la mère. Elle soupçonne Rohan d’être pour quelque chose dans l’infâme intrigue; on dirait que son regard perce l’obscurité d’un prochain avenir, non pas certes jusqu’à deviner ce que doit être un jour la réalité dernière, mais assez loin cependant pour concevoir de confuses et cruelles angoisses.

Tel est le multiple intérêt des renseignemens nouveaux qu’offrent les papiers secrets de Mercy. Ils s’adressent au moraliste, nous pourrions dire au psychologue, autant qu’au politique et à l’historien. Ils ne présentent pas, à vrai dire, de révélations inattendues; mais, par une vue très prochaine et très nette de la réalité, ils donnent à d’importans problèmes des explications nécessaires. Ce qu’ils nous, apprennent par exemple des vils manèges de ce qu’on appelait la cabale montre, s’accumulant peu à peu, la série des médisances, des calomnies, des moqueries envenimées qui deviendront, transformées, les terribles accusations de 1793. Nous pouvons suivre ainsi la marche de l’ancien régime se dévorant lui-même, c’est-à-dire forgeant les armes par où périront ses derniers représentans, non pas les plus coupables. Ce roi économe, cette reine ennemie de la Du Barry, voulaient réagir contre certaines hontes de l’ancien régime : il s’est retourné contre eux, il les a entourés de pièges et de mortels dangers; il les a transformés en victimes de ses propres méfaits et des abus auxquels il ne voulait pas renoncer. Du reste ce passé est celui de la France, un passé dont le temps présent se reconnaît, malgré tout, en quelque mesure solidaire. Ce qui peut contribuer à le faire mieux connaître tel qu’il était à la veille de la révolution doit être soigneusement recueilli; nul ne saurait nier que les réponses à quelques-uns des problèmes qui assiègent notre époque ne puissent en partie dépendre de la sincérité d’un tel examen historique.