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ractère du roi et de celui de la reine, nous paraît singulièrement équitable. Voilà Louis XVI, exact, appliqué, judicieux quand il écrit ses lettres d’affaires, par exemple ses billets à Vergennes, mais assez inerte et glacé cependant pour rédiger vingt-cinq années de suite cet étrange registre de chasse qu’on connaît, où ne figurent, peu s’en faut, même au temps de la révolution, que la messe et les vêpres, les cures de petit-lait et les pièces de gibier. Il trouvera plus tard sa grandeur dans la patience et la résignation en face du malheur immérité. Voilà Marie-Antoinette, avec son charme et sa grâce, bien plus avec sa rectitude naturelle d’esprit et de cœur. Ce fonds une fois acquis, l’incomplète éducation, puis les incorrections et les inconséquences, résultats d’une situation très douloureuse et très fausse, pourront survenir sans risquer de compromettre l’honneur. Louis XVI paraît l’avoir très bien compris; fort défiant de l’influence étrangère, personnellement inhabile à prendre en main aucune direction morale, il semble avoir laissé volontiers la reine à ses goûts de dissipation et de plaisir, en se reposant, avec une sécurité fondée, sur ce fonds d’honnêteté et, comme dit Joseph II, d’austérité native. Les imprudences et les fautes de Marie-Antoinette sont très réelles; mais les plus sévères avoueront qu’elle en a été trop punie. Rien n’empêchait d’imaginer, pendant ses premières années de dauphine ou de reine, que ses défauts, presque au même titre que ses qualités, seraient de nature à séduire les Français. Sa venue mettait fin à la domination éhontée des courtisanes; elle succédait, élégante, rieuse, bonne et fière, à des reines silencieuses et effacées. On aurait fait une jeune souveraine exprès pour la nation française, dit familièrement un contemporain, qu’on n’aurait pas mieux réussi. Par quelle fatalité ce qui devait faire son succès a-t-il fait son malheur ? Elle était étrangère, mais comme toutes les épouses de rois apparemment. Les princesses italiennes ou espagnoles avaient exercé naguère en France une bien autre influence; la duchesse de Bourgogne s’était permis de bien autres indiscrétions.

Si l’on veut ne jamais oublier, au sujet de Marie-Antoinette, les difficultés tout extraordinaires qui l’ont assaillie comme femme et comme reine, si l’on consent à ne pas abjurer à son égard une pitié qui n’est que justice, si d’autre part, avec ces sentimens, on suit pas à pas les lettres de sa mère et surtout la correspondance secrète de celle-ci avec le comte de Mercy-Argenteau, si l’on note, en même temps que les multiples et sévères reproches, les expressions d’éloge et d’hommage que Marie-Thérèse, aussi bien que Joseph II, ne veut pas retenir, on aura tous les élémens d’une appréciation juste et définitive du caractère de la reine, soit pendant une période de sa vie jusqu’à ce jour mal connue, soit pour le reste de sa carrière,