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entre la mère et la fille, et jusqu’aux notes du médecin. On connaîtra dans cette vie d’épouse les jours et les nuits, les longs temps de déception avec leurs vicissitudes, les momens d’espérance, les légitimes vœux satisfaits. Si l’on veut supputer des dates, qui ne comprend qu’il y a là toute une chaîne de dates qui se correspondent, et au milieu de laquelle nul trouble illicite n’aurait pu s’introduire sans éclater au grand jour?

Joseph II, depuis la publication de ses lettres conservées à Vienne, a été invoqué souvent comme une sorte de témoin à charge contre Marie-Antoinette. Que ce soit à la condition de ne pas dédaigner les éloges que son affection impartiale n’a pas cru devoir retenir. A l’issue de son voyage de 1777, pendant lequel il a si peu ménagé à sa sœur l’expression de ses reproches, il lui rend aussi plus d’une fois de sincères et significatifs hommages. Quoi de plus tendre que ces lignes émues, où la délicatesse du sentiment respire dans celle de l’expression : « J’ai quitté Versailles avec peine, attaché vraiment à ma sœur; j’ai trouvé une espèce de douceur de vie à laquelle j’avais renoncé, mais dont je vois que le goût ne m’avait pas quitté. Elle est aimable et charmante; j’ai passé des heures et des heures avec elle sans m’apercevoir comment elles s’écoulaient. Sa sensibilité au départ était grande, sa contenance bonne : il m’a fallu toute ma force pour trouver des jambes pour m’en aller. » A son frère Léopold, il écrit avec une persistance convaincue, et sans faire trêve d’ailleurs à de partiels reproches : « Sa vertu est intacte, elle est même austère, par caractère plus que par raisonnement. » Et un autre jour, il lui parle encore du même ton : « J’ai quitté Paris sans regrets, quoique l’on m’y ait traité à merveille. Pour Versailles, il m’en a plus coûté, car je m’étais véritablement attaché à ma sœur, et je voyais sa peine de notre séparation, qui augmentait la mienne. C’est une aimable et honnête femme, un peu jeune, peu réfléchie, mais qui a un fonds d’honnêteté et de vertu dans sa situation vraiment respectable, — avec cela, de l’esprit et une justesse de pénétration qui m’a souvent étonné. Son premier mouvement est toujours le vrai. »

Pour définir entièrement le caractère de la reine, Joseph II comprend très bien qu’il faut tenir compte de tout ce qui lui manque de bonheur intime, ainsi que du caractère du roi, et il achève sa peinture en donnant de celui-ci par quelques mots un très remarquable et très intelligent portrait. « La situation de ma sœur avec le roi est singulière, dit-il. Cet homme est un peu faible, mais point imbécile. Il a des notions, il a du jugement, mais c’est une apathie de corps comme d’esprit. Il fait des conversations raisonnables, il n’a aucun goût de s’instruire ni curiosité; enfin le fiat lux n’est pas venu : la matière est encore en globe. » Cette double appréciation, du ca-