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parure et du luxe. Plus d’une fois par exemple son goût des pierreries l’entraîne, et c’est un sujet d’humiliation et d’étonnement pour sa mère, qui voudrait lui inspirer un plus grave sentiment de sa dignité. L’autre occasion de très fâcheuse dépense est le jeu. C’étaient bien des traditions de cour que le jeu du roi et celui de la reine; on n’y voyait cependant figurer d’ordinaire que ce qu’on appelait les jeux de commerce, tels que le cavagnol et plus tard le whist, non ceux de hasard; mais on sait combien la passion de jouer avait envahi sous le précédent règne : il n’y a qu’à lire Walpole pour se rappeler jusqu’aux princesses du sang livrées ouvertement à ces excès. Les reines du moins s’en abstenaient et laissaient dans cette carrière la première place aux maîtresses en titre. Il fut très choquant, rien que par ce souvenir, de voir Marie-Antoinette se laisser tenter d’abord chez la princesse de Guéménée, puis chez Mme de Lamballe, qui, belle-sœur du duc de Chartres, ouvrait son salon aux libres mœurs affichées par la coterie du Palais-Royal. On en vint à jouer gros jeu au lansquenet ou bien au pharaon chez la reine même, surtout pendant les voyages de Compiègne et de Fontainebleau. Mercy ne tarit pas à ce sujet : « Il prit envie à la reine, écrit-il pendant un séjour à cette dernière résidence vers la fin de 1776, de jouer au pharaon. Elle demanda au roi qu’il permît que l’on fît venir des banquiers-joueurs de Paris. Le monarque observa qu’après les défenses portées contre les jeux de hasard, même chez les princes du sang, il était de mauvais exemple de les admettre à la cour; mais, avec sa douceur ordinaire, il ajouta que sans doute cela ne tirerait pas à conséquence, si l’on ne jouait qu’une seule soirée. Les banquiers arrivèrent le 30 octobre et taillèrent toute la nuit et la matinée du 31. La reine resta jusqu’à cinq heures du matin, après quoi sa majesté fit encore tailler le soir et bien avant dans la matinée du 1er novembre, jour de la Toussaint; elle joua elle-même jusqu’à près de trois heures du matin. Le mal était qu’une pareille veillée tombait dans la matinée d’une fête solennelle, et il en est résulté des propos dans le public. La reine se tira de là par une plaisanterie, en disant au roi qu’il avait permis une séance de jeu sans en déterminer la durée, qu’ainsi on avait été en droit de la prolonger pendant trente-six heures. Le roi se mit à rire et répondit gaîment : « Allez! vous ne valez rien tous tant que vous êtes. » Marie-Antoinette gagnait ou perdait en une soirée 500 louis ; il lui fallait recourir le lendemain au roi, qui, sans faire nul reproche, payait sur sa propre cassette. De là aussi tant de mauvais bruits que les gazettes répandaient dans toute l’Europe sur les friponneries commises au jeu de Marly, sur la veine suspecte d’un Anglais, nommé Smith, admis au jeu de la reine à Fontainebleau, et qui avait gagné aux princes 1,500,000 livres, etc. Ces