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un besoin irréfléchi de commerce affectueux et un désir de plaire et d’être charmée qui, ne trouvant pas leur naturelle satisfaction, se répandaient et donnaient prise sur elle. D’autres imprudences s’y joignaient pour accroître le péril; l’esprit de dissipation, de légèreté, d’inconséquence, devint avec le favoritisme une autre source de malheur. On ne pouvait fixer la reine à aucune occupation sérieuse. Vermond fit pendant longtemps de vains efforts pour qu’elle acceptât, selon la prière instante de l’impératrice, des lectures régulières. On peut la blâmer d’autant plus que son instruction avait été fort incomplète; mais on avouera que ce n’est pas une raison suffisante de croire qu’elle ait recherché les plus mauvais livres. A vrai dire, ils pullulaient autour d’elle; les petites boutiques dont les escaliers, même intérieurs, de Versailles étaient infestés, comme le furent ceux du Palais de Justice jusque dans notre temps à Paris, les débitaient aux portes de ses appartemens. Quelques-unes des dames pouvaient bien les avoir introduits; la comtesse d’Andlau par exemple, tante de Mme de Polignac, avait été accusée d’en avoir prêté à Mme Adélaïde. Joseph II va jusqu’à parler « d’indécences » dont la reine sa sœur se serait « rempli l’imagination par ses lectures ; » mais il ne faut ni exagérer ni sans doute prendre tout à fait au pied de la lettre l’expression de Joseph, qui peut dépasser sa pensée. Les prétendus catalogues particuliers de la reine qu’on a publiés, et qui feraient scandale, ne sont pas démontrés authentiques, tandis qu’on peut lire à la Bibliothèque nationale, à Paris, sous le numéro 13,001, un catalogue manuscrit de sa collection de livres de Versailles où se retrouvent, sans aucune mention de livres déshonnêtes, les ouvrages cités dans sa correspondance comme ayant servi effectivement à ses lectures. La vérité est sans doute que Joseph II, tout indigné du dévergondage que lui offrait en France une mauvaise littérature accueillie des gens de cour, aura conclu, non sans quelque réelle exagération dans les termes, de certaines libertés de langage ou même de certains souvenirs de la reine, à des lectures qu’elle ne faisait pas plus attentives et nombreuses dans les mauvais que dans les bons livres.

Les mille récits soit des imprudentes visites au bal de l’Opéra, aux trois spectacles, aux courses de chevaux ou de traîneaux, soit des promenades nocturnes sur la terrasse de Versailles, toujours sans le roi, qui n’aimait que la chasse, le loto et le colin-maillard « avec des gages, » remplissent les mémoires du temps et se retrouveront dans les rapports secrets de Mercy avec une variété inépuisable de détails. La dépense de la reine devient excessive, surtout en 1776 et 1777, et le motif n’en est pas uniquement dans les grâces qu’elle ne sait refuser à aucun de ceux qui l’environnent; on la voit en outre sans défense contre certaines séductions de la