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avec chagrin que la reine s’expose à un pareil danger. » Le salon de la princesse de Guéménée était fort redouté de Marie-Thérèse et de Mercy pour les intrigues de tout genre que Marie-Antoinette y rencontrait. Mme de Guéménée était séparée de son mari : le duc de Coigny d’un côté, Mme de Dillon de l’autre, sans préjudice du corps de ballet de l’Opéra, venaient en surcroît pour dédoubler ce ménage. S’il est vrai que certaines charges, par exemple celle de gouvernante des enfans de France, que Mme de Guéménée avait reçue après Mme de Marsan, étaient presque inamovibles, il faut bien cependant que la reine ait fait d’elle-même à ses favorites plusieurs sortes de sacrifices pour que Marie-Thérèse, Joseph II, Mercy et l’abbé de Vermond aient pu être amenés à lui faire des représentations ou des reproches pareils à ceux que nous lisons dans leurs lettres. Voici particulièrement de ce dernier un témoignage important, que nous citerons comme le plus grave que nous ayons rencontré dans cette période, et qui honore le caractère de son auteur. C’est une lettre inédite de l’abbé à Mercy pour lui rendre compte, suivant l’habitude, des faits et gestes de la reine.


« Aujourd’hui, dit-il, sa majesté a répondu à une lettre de la reine de Naples faisant mention de l’évêque Guirtler, son confesseur et qui l’a été de la reine. Sa majesté interrompit sa lettre pour faire conversation sur cet évêque; elle me le peignit comme un intrigant, qui aurait été fort dangereux en France. À cette occasion, elle m’adressa quelques mots très obligeans; elle ajouta qu’elle était étonnée que le roi d’Espagne eût permis à la reine de Naples de conserver M. Guirtler, et, revenant au rôle qu’il aurait fait en France, elle dit : Il aurait voulu me rendre dévote! — Jusque-là, je n’avais guère été qu’auditeur; mais pour lors je pris la parole : — Comment aurait-il fait, dis-je, pour vous rendre dévote? je n’ai pu, moi, vous amener à une conduite raisonnable! — La reine sourit et eut l’air de m’inviter à la preuve. — Par exemple, madame, répliquai-je, vos sociétés, vos amis et amies : vous êtes devenue fort indulgente sur les mœurs et la réputation. Je pourrais prouver qu’à votre âge cette indulgence, surtout pour les femmes, fait un mauvais effet; mais enfin je passe que vous ne preniez garde ni aux mœurs ni à la réputation d’une femme, que vous en fassiez votre société, votre amie, uniquement parce qu’elle est aimable; mais que l’inconduite en tout genre, les mauvaises mœurs, les réputations tarées et perdues soient un titre pour être admis dans votre société, voilà ce qui vous fait un tort infini. Depuis quelque temps, vous n’avez pas même la prudence de conserver liaison avec quelques femmes qui aient réputation de raison et de bonne conduite. — La reine a écouté tout ce sermon avec sourire et une sorte d’applaudissement et