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voulez pas empêcher la guerre, nous nous battrons en braves gens, et dans toutes les circonstances, ma chère sœur, vous n’aurez point à rougir d’un frère qui méritera toujours votre estime. » De tels mots désespéraient Marie-Antoinette, et lui inspiraient toujours quelque nouvel effort. Pour Mercy, la dépêche du 30 mars était simplement « indécente, » Maurepas et Vergennes étaient des fourbes qui ne remplissaient pas les devoirs de l’alliance envers l’Autriche. A l’en croire, ce fut la peur que firent aux ministres les menaces et le mécontentement de la reine qui amena une seconde dépêche du 26 avril, destinée à corriger celle du 30 mars par un langage de conciliation.

Si l’on ajoute que Louis XVI et ses ministres promirent, dans leurs entretiens avec Marie-Antoinette, de ne tolérer en aucun cas une attaque du roi de Prusse contre les Pays-Bas autrichiens, on aura le compte exact, croyons-nous, de tout ce qu’elle put obtenir. On vit bien encore un peu plus tard, en 1784, lorsque Joseph II, désespérant de réussir par la force, modifia ses plans en proposant un échange des Pays-Bas contre la Bavière, Marie-Antoinette déployer la vivacité de son zèle. Elle mandait de nouveau les ministres et leur faisait la leçon, elle retardait sept jours le départ d’un courrier, elle avertissait l’empereur des résolutions qu’elle croyait ou qu’elle savait arrêtées en conseil ou sur le point de l’être. Tous ces efforts restaient cependant en résumé fort inutiles. L’entreprise de Joseph II échoua complètement; le cabinet de Versailles, tout en se gardant de rompre l’alliance avec l’Autriche, ne fit aucune sérieuse concession; sans former un nouveau pacte avec la Prusse, sans lui permettre la tentation de. quelque conquête, il témoigna qu’il approuvait la conduite de Frédéric II. Louis XVI ne se sépara pas un instant de ses ministres; s’il n’eut pas la force de couper court à des récriminations et à des instances qui devaient lui être pénibles, il n’y sacrifia pas du moins un seul jour ce qu’il croyait le bien de son état et l’intérêt général. Quant à la reine elle-même, c’est à peine si l’on peut lui attribuer aucune autre idée, aucune autre vue politique que celle de la conservation de l’alliance entre ses deux familles, entre ses deux patries. Des considérations de sentiment sont à peu près les seuls mobiles de sa conduite. Elle déteste le roi de Prusse comme l’ennemi juré de sa maison, et parce qu’elle l’a entendu maudire par sa mère, qui ne l’appelle que « le monstre. » Elle déteste d’Aiguillon, parce qu’il est l’adversaire de Choiseul, qui a fait son mariage et soutenu naguère l’alliance. Elle est d’ailleurs si peu l’organe de la politique autrichienne qu’elle voudrait voir Choiseul revenir au ministère, ce qui n’est pas du tout le compte de Marie-Thérèse, de Joseph II et de Kaunitz. Ceux-ci craindraient fort l’activité résolue de l’ancien ministre et la vivacité de son patrio-