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organe des idées du XVIIIe siècle, et de ce côté encore l’impératrice se rangeait vers la cause du progrès, «Ma fille de Parme va trop vite en besogne, écrivait-elle, et la reine de Naples se gendarme contre Tanucci. Quels seront à la fin les raisonnemens qu’on fera, même à mon tort, sur les procédés de mes filles vis-à-vis des ministres? On leur prêtera sûrement une envie décidée de dominer, et les réflexions qu’on fera sur ce sujet pourront bien influer sur l’avenir de ma dauphine. »

Ces dernières paroles sont très dignes d’attention. Elles montrent que Marie-Thérèse comprenait les dangers que pourrait attirer sur ses filles, notamment sur Marie-Antoinette, une indiscrète intervention dans les affaires, surtout si l’on croyait pouvoir l’attribuer, ce qui ne manquerait pas, à l’influence de leur mère. Sa conduite dans ses rapports avec la dauphine de France a-t-elle été conforme ou contraire à ces sentimens formellement exprimés? Exerça-t-elle sur sa plus jeune fille un ascendant notable dont elle pût être tentée de se servir en vue d’intérêts plus autrichiens que français? ou bien engagea-t-elle Marie-Antoinette à revendiquer elle-même un rôle influent à la cour de Versailles? On sait tout l’intérêt de ces questions dans l’histoire de la reine; la nouvelle correspondance offre de précieuses lumières qui peuvent servir à les discuter.


II.

Nous ne voulons pas examiner ici ce problème, d’un intérêt qui n’a peut-être pas entièrement vieilli, à savoir si l’alliance conclue entre la France et l’Autriche en 1756 pour s’opposer aux progrès déjà menaçans de la Prusse était heureuse ou non pour les deux pays et particulièrement pour la France. Frédéric II a très habilement exploité d’abord les souvenirs survivans de l’excessive prépondérance que l’ancienne maison d’Autriche avait exercée sur toute l’Europe, et plus tard les regrets de la guerre de sept ans; il a su mettre avec lui l’opinion des philosophes, maîtres de l’esprit public, et le succès de ses armes a achevé de lui faire beaucoup de partisans. Cette sorte de popularité lui a été fort utile. Pendant que l’Autriche, dont la puissance avait été ébranlée par la guerre de succession après la mort de Charles VI et diminuée par la perte de la Silésie, commençait sans doute à n’être plus tant à craindre pour l’équilibre de l’Europe, la Prusse grandit avec tous les signes d’une politique funeste et d’un militarisme redoutable. Il put donc sembler à propos de s’unir avec l’une des deux puissances contre celle qui devenait dangereuse. On comprend que de la réponse qu’on fait à ces questions peut dépendre en certaine mesure l’appréciation du