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dissipe; mais il faut s’estimer et être utiles réciproquement, il faut être amis l’un de l’autre pour être heureux dans l’état du mariage... Du Tillot est le ministre de l’infant. Étant étranger et ne pensant qu’au bien de son maître, ses ennemis sont en grand nombre; mais ils ne lui rendent pas moins la justice qu’il sert bien et avec intégrité. N’écoutez aucun conte qu’on s’aviserait de vous faire contre lui. Je sais que plusieurs espèrent parvenir par vous à un changement dans le ministère; ne vous fiez pas aux insinuations qu’on voudrait vous faire à cet effet. Respectez en lui le choix de votre époux; n’écoutez personne ni sur son compte ni sur les affaires du gouvernement... »

Il est intéressant de remarquer en quoi ces instructions différaient de celles que Marie-Thérèse rédigea pour Marie-Antoinette l’année suivante. Elle observait la diversité des situations et des caractères : à celle-ci, qui abordait si jeune une cour telle que celle de Versailles, elle ne rappelait que les devoirs de piété, les vertus de famille, la tenue personnelle à garder. A Marie-Amélie, plus âgée, ambitieuse et ardente, elle parlait d’affaires, conseillant l’abstention, la prudence, la modestie, mais n’hésitant pas à déclarer elle-même qu’en dépit des protestations pontificales, il fallait appuyer du Tillot et ses utiles réformes. Elle prêchait en vain : la cour de Parme, au lieu d’écouter ses avis, devenait le théâtre des plus singuliers désordres. Le jeune duc offrait un caractère étrange, qu’expliquait en partie seulement sa bizarre éducation. Condillac et Mably l’avaient élevé : c’était trop de deux philosophes. Il n’y a qu’à parcourir le Cours d’études en seize volumes rédigé par eux à cette occasion pour comprendre qu’ils sacrifièrent l’intérêt pressant de leur élève, non pas peut-être à leur réputation d’écrivains, mais tout au moins à leur goût d’abstraction et de généralisation dogmatique. Mably surtout, dans son Traité de l’étude de l’histoire, évoquait en faveur du malheureux infant tous ses souvenirs de l’ancienne Grèce, et particulièrement de Sparte, son idéal. Il lui disait sous toutes les formes : « Soyez Minos ou Lycurgue, c’est-à-dire un roi pacifique et législateur; ne soyez pas un conquérant comme Cyrus ou comme Alexandre. Evitez à vos peuples le désastreux fléau des armées permanentes. » C’étaient là de bien grands noms et de bien grands mots pour le petit souverain de Parme, dont l’armée n’aurait été en aucun cas formidable. Condillac et Mably s’étaient proposé, disaient-ils, « de suivre ici la même marche que l’esprit humain a suivie pour créer les arts et les sciences; » ils eussent beaucoup mieux fait de se conformer à la marche plus incertaine de l’intelligence qui leur était confiée.

Cette éducation du prince de Parme fut une sorte d’expérience philosophique comme les aimait le XVIIIe siècle. Conduite sans bon sens