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séparer, à ses risques et périls, alors qu’ils se colletaient tous les deux à coups de poing. Quant au comte d’Artois, il se rendait agréable par cet esprit de dissipation et ce goût de plaisir qui devinrent si dangereux à Marie-Antoinette en l’entraînant au bois, aux courses, aux bals de l’Opéra, à tant de fêtes où son mari ne venait pas, et qui furent l’occasion de tant de calomnies. Du reste elle ne conserva d’illusions, si jamais elle en eut aucune, ni sur l’un ni sur l’autre de ces deux princes. Monsieur avait à son égard tantôt des assiduités et des complaisances peu sincères, tantôt des attitudes de mécontentement et d’opposition. Il la tenait parfois au courant des pamphlets et des chansons satiriques; il lui faisait passer sous main et avec des manières d’intrigue des papiers contenant des conseils politiques; mais ces manèges ne le faisaient pas estimer : il paraissait plutôt « joindre à un caractère très faible, ce sont les propres expressions de la reine, une marche souterraine et quelquefois très basse. » Louis XVI ne pensait guère autrement à l’égard de son frère. Un jour qu’on avait représenté dans la famille royale une scène de Tartuffe, le comte de Provence ayant joué ce rôle : « Cela a été rendu à merveille, dit le roi; les personnages y étaient dans leur naturel ! » Quand le comte d’Artois tomba malade en juillet 1776, toute la cour vit avec surprise l’indifférence de la reine. Mercy lui en ayant fait la remarque, elle répondit « qu’elle ne prenait aucun intérêt au prince son beau-frère, — que, liée avec lui par des occasions de pur amusement, toute amitié cessait avec ces amusemens, parce que le jeune prince n’avait aucune qualité qui put lui concilier plus d’affection. » On reconnaît le même sentiment qui lui dictera ce mot amer : « si j’avais à choisir un mari entre les trois, je préférerais encore celui que le ciel m’a donné; son caractère est vrai, et, quoiqu’il est gauche, il a toutes les attentions et complaisances possibles pour moi. » Le comte de Provence et le comte d’Artois s’étaient mariés, mais les deux belles-sœurs, maussades et disgracieuses, n’avaient été de nulle ressource; Marie-Antoinette s’exprime sur leur compte avec esprit quand elle écrit en 1776 à sa mère, dans ses lettres déjà connues : « Je n’ai rien à dire contre mes belles-sœurs, avec qui je vis bien; mais, si ma chère maman pouvait voir les choses de près, la comparaison ne me serait pas désavantageuse. La comtesse d’Artois a un grand avantage, celui d’avoir des enfans; mais c’est peut-être la seule chose qui fasse penser à elle, et ce n’est pas ma faute, si je n’ai pas ce mérite. Pour Madame, elle a de l’esprit, mais je ne voudrais pas changer de réputation avec elle. » Voilà de ces mots connue Marie-Antoinette en a souvent, avec un accent de fierté et de tristesse qui accuse dès le premier jour la cruelle destinée.

Ce n’était pas auprès de Louis XV qu’elle aurait pu trouver un