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cond. Quant à saint Paul, il est certain que l’auteur judæo-chrétien n’est pas plus doux pour les pauliniens que pour les païens; il va même quelque part jusqu’à assimiler la doctrine libérale de Paul à celle de Balaam, le prophète séducteur du peuple d’Israël. Là-dessus quelques commentateurs modernes n’ont pas hésité à soutenir qu’en réalité le faux prophète de l’Apocalypse est bel et bien l’apôtre des gentils rabaissé jusque-là par le fanatisme judaïsant. Le fait est que par la suite, dans la tradition judœo-chrétienne, on voit la passion théologique aller jusqu’à confondre systématiquement Paul et Simon le Magicien, devenu, lui aussi, le type du faux prophétisme et du faux messianisme. Cependant il faut avouer que les détails concrets manquent au rapport qu’on voudrait établir entre saint Paul et le faux prophète de l’Apocalypse. Paul, il est vrai, en vertu de ses principes plus larges, recommandait à ses disciples vis-à-vis du gouvernement impérial plus de déférence et de soumission que le patriotisme d’un Juif exalté n’en pouvait accorder; mais de là à le représenter comme prêchant la césarolâtrie au profit de Néron, il y a un abîme, et il faudrait de fortes preuves pour admettre que l’odium theologicum ait pu aller aussi loin chez les contemporains de l’apôtre. M. Renan pense que le personnage ainsi désigné a été plus probablement une célébrité locale, promptement oubliée, qu’il faudrait chercher du côté de ces devins, goètes, thaumaturges, magiciens, qui pullulaient à cette époque, mais sans espérer de retrouver son nom propre. C’est encore le parti qui nous paraît le plus sage, bien que l’explication qui prétend voir l’apôtre Paul dans le faux prophète apocalyptique ait pour elle des raisons plus spécieuses qu’on ne le croirait à première vue.

Reste la question d’authenticité. L’Apocalypse se donne elle-même pour l’œuvre d’un serviteur du Christ appelé Jean, et d’assez bonne heure nous voyons ce Jean désigné dans l’église chrétienne comme l’apôtre de ce nom, compagnon de Jacques et de Pierre et devant survivre à tous les autres témoins oculaires de la vie de Jésus. Il est vrai que de bonne heure aussi (cette affirmation est contestée. Cependant l’opposition se tait pour un temps, puis elle reparaît dans la portion la plus éclairée et la plus libre de l’église des premiers siècles, celle qui gravitait autour d’Antioche et d’Alexandrie; mais on ne peut pas faire un très grand fonds sur cette négation, très habilement développée du reste par l’évêque alexandrin Denys. Il est trop visible que ce qui la domine, c’est le vif désir d’éliminer de la liste des livres saints un écrit où la doctrine millénaire est positivement enseignée[1]. La fixation de l’ortho-

  1. On sait que le millenium est la doctrine d’après laquelle le Christ doit revenir pour régner visiblement sur la terre pendant mille ans, à la fin desquels aura lieu le jugement universel et dernier.